Vol. 110 : Cancérogénicité de 5 produits chimiques

Présentation

En juin 2014, 20 experts originaires de neuf pays se sont réunis au Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC – Lyon, France) pour évaluer la cancérogénicité de l’acide perfluorooctanoïque (APFO), du tétrafluoroéthylène (TFE), du dichlorométhane (DCM), du 1,2-dichloropropane (1,2-DCP) et du 1,3-propane sultone (1,3-PS). Leurs conclusions seront publiées dans le volume 110 des Monographies du CIRC1.

Le 1,2-DCP est un solvant chloré synthétique et un sous-produit de production de l’épichlorhydrine. Il sert principalement comme intermédiaire chimique dans la production d’autres substances chimiques organiques, telles que le propylène, le tétrachlorure de carbone et le tétrachloroéthylène ainsi que dans les produits décapants de peinture; il a également été utilisé pour nettoyer l’encre dans les imprimeries japonaises depuis le milieu des années 1990 jusqu’en 2012. Le 1,2-DCP a été classé comme étant cancérogène avéré pour l’homme (Groupe 1) sur la base d’indications suffisantes chez l’homme permettant d’affirmer que l’exposition au 1,2-DCP induit des cholangiocarcinomes (cancer des voies biliaires). Les indications de cancérogénicité les plus importantes chez l’homme sont issues d’études chez des travailleurs d’une petite imprimerie d’Osaka (Japon) où un risque très élevé de cholangiocarcinome a été rapporté2,3. Des cas supplémentaires ont ensuite été identifiés dans d’autres imprimeries. La plus grande difficulté dans l’évaluation de l’apparition de cancers au sein des imprimeries japonaises consistait à déterminer si l’excès observé de cholangiocarcinomes pouvait être attribué à un agent spécifique. Bien que des ouvriers fussent exposés à plus de 20 substances chimiques différentes, l’exposition au 1,2-DCP était commune aux 24 patients atteints de cholangiocarcinome à l’exception de l’un d’entre eux, six de ces patients n’avaient pas d’exposition connue au DCM (utilisé en même temps que le 1,2-DCP dans cette industrie). Le groupe de travail a tenu compte de la rareté des cholangiocarcinomes, d’un risque relatif très élevé, du jeune âge des patients, de l’absence de facteurs de risque extra-professionnels et de l’intensité de l’exposition comme indications que l’excès de cholangiocarcinomes ne pouvait être le résultat du hasard, de biais ou de facteurs de confusion extra-professionnels. Des indications suffisantes de cancérogénicité ont aussi été rapportées dans des études chez l’animal de laboratoire, des cancers pulmonaires et hépatocellulaires ayant été observés chez des souris exposées4,5. Sur la base de ces indications, la majorité du groupe de travail a conclu que le 1,2-DCP était l’agent responsable de l’excès important de cholangiocarcinomes chez les ouvriers exposés. Cependant, une minorité dans le groupe a conclu, quant à elle, que malgré la crédibilité de l’association entre le 1,2-DCP et le cholangiocarcinome, le rôle d’autres agents, notamment le DCM, ne pouvait pas être ignoré avec suffisamment de confiance. Les membres du groupe de travail ont également noté le fait que la plupart des indications provenaient de rapports relatifs à une seule usine.

Le DCM a été utilisé dans la production de plastiques en polycarbonate, d’hydrofluorocarbures, de fibres synthétiques et de pellicules photographiques, en tant que propulseur d’aérosols, en tant que décapant pour peintures, pour le nettoyage des métaux et des imprimantes et en tant que solvant d’extraction pour certaines denrées alimentaires. Le DCM a été classé comme étant probablement cancérogène pour l’Homme (Groupe 2A) sur la base d’indications limitées concernant son induction de cancers des voies biliaires et de lymphomes non hodgkiniens chez l’homme, ainsi que d’indications suffisantes de cancérogénicité dans les études chez les animaux de laboratoire (tumeurs malignes pulmonaires et hépatocellulaires chez des souris mâles et femelles)2,3,69. Dans son évaluation globale, le groupe de travail a également tenu compte de fortes indications concernant le métabolisme du DCM, se faisant via la glutathion-S-transférase T1 (GSTT1) et conduisant à la formation de métabolites réactifs, de l’activité de la GSTT1 fortement associée à la génotoxicité du DCM in vitro et in vivo, et du fait que ce métabolisme du DCM, catalysé par la GSTT1, existe chez l’Homme.

Le TFE est principalement utilisé comme intermédiaire dans la production de polytétrafluoroéthylène dans une large gamme de produits industriels et de produits de consommation, notamment les revêtements antiadhésifs et les vêtements imperméables. Malgré l’absence de données sur la cancérogénicité chez l’homme et des informations insuffisantes sur ses mécanismes d’action du TFE, le groupe de travail a réévalué la cancérogénicité du TFE pour le classer de « peut-être cancérogène pour l’Homme » (Groupe 2B) à « probablement cancérogène pour l’Homme » (Groupe 2A), sur la base d’indications suffisantes dans les études chez les animaux de laboratoire, avec des caractéristiques tumorales frappantes et atypiques. En particulier, des cancers sur plusieurs sites et avec une incidence très élevée observés chez des rongeurs mâles et femelles après une exposition au TFE (souris : angiosarcome hépatique, carcinome hépatocellulaire et sarcome histiocytaire ; rats : adénome à cellules rénales ou carcinome, carcinome hépatocellulaire, leucémie des cellules mononucléaires et, angiosarcome hépatique qui est considéré comme une tumeur rare [observé uniquement chez les rats femelles]).10

Le 1,3-PS a été utilisé comme intermédiaire dans la production d’autres substances chimiques et d’une variété de produits incluant les détergents, les pesticides, les produits pharmaceutiques et matériels de photographie. Son usage industriel a été arrêté mais son utilisation dans la manufacture de batteries au lithium a récemment été rapporté. Le 1,3-PS a été classé comme étant probablement cancérogène pour l’Homme (Groupe 2A), sur la base d’indications insuffisantes chez l’homme mais suffisantes chez les animaux de laboratoire, avec des données mécanistiques présentant des indications fortes de génotoxicité. Le 1,3-PS induit des tumeurs malignes de la peau et du système lympho-hématopoïétique chez les souris et des gliomes malins chez les rats11,12. Le 1,3-PS est un agent alcalin qui interagit directement avec l’ADN et les protéines. Cette réaction avec l’ADN a été mise en évidence dans plusieurs essais de génotoxicité, y compris sur des cellules animales et humaines in vitro. Dans la mesure où le 1,3-PS ne nécessite pas d’activation métabolique et réagit directement avec l’ADN et d’autres macromolécules, le groupe de travail a conclu que ce mécanisme opère probablement, à la fois, chez l’animal et chez l’Homme.

L’APFO et ses sels sont utilisés dans la production de fluoropolymères et de nombreux produits industriels et commerciaux, notamment dans la production d’ustensiles de cuisine anti-adhésifs, les vêtements imperméables et les emballages papiers alimentaires. L’APFO est persistant dans l’environnement et a été détecté à de faibles concentrations dans la population générale partout dans le monde. De plus, les communautés vivant près d’usines de production ont été fortement exposées à l’APFO à cause des émissions dans l’air et l’eau. Sur la base d’indications limitées chez l’homme selon lesquelles l’APFO induit des cancers du testicule et du rein, et d’indications limitées chez les animaux de laboratoire, le groupe de travail a classé l’APFO comme étant peut-être cancérogène pour l’Homme (Groupe 2B). Une augmentation du risque de cancer du rein avec une relation dose-effet statistiquement significative a été rapportée chez les ouvriers d’une usine de production de fluoropolymères en Virginie occidentale (Etats-Unis), et au sein d’une communauté exposée près de l’usine (risque relatif 2,0 ; IC à 95 % 1,0 – 3,9)13,14. Des augmentations du risque de cancer du testicule multipliées par trois environ ont été rapportées chez les résidents les plus exposés des communautés vivant près de cette même usine14,15. Le groupe de travail a estimé que les indications concernant les mécanismes de cancérogenèse associés à l’APFO étaient modérées, ce qui n’a pas modifié la classification globale de l’APFO.

Nous déclarons ne pas avoir de conflits d’intérêts.

Lamia Benbrahim-Tallaa, Béatrice Lauby-Secretan, Dana Loomis, Kathryn Z Guyton, Yann Grosse, Fatiha El Ghissassi, Véronique Bouvard, Neela Guha, Heidi Mattock, Kurt Straif au nom du Groupe de Travail des Monographies du Centre international de Recherche sur le Cancer.

Article disponible en anglais

Benbrahim-Tallaa L, Lauby-Secretan B, Loomis D, Guyton KZ, Grosse Y, El Ghissassi F, et al. Carcinogenicity of perfluorooctanoic acid, tetrafluoroethylene, dichloromethane, 1,2-dichloropropane, and 1,3-propane sultone. The Lancet Oncology. 2014 Aug;15(9):924–5: http://dx.doi.org/10.1016/S1470-2045(14)70316-X

Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir : http://monographs.iarc.fr.

Prochaines réunions

30 septembre – 7 octobre 2014, Volume 111 : Nanomatériaux et fibres.

3–10 mars 2015, Volume 112 : Insecticides organophosphorés.

Membre du Groupe de Travail des Monographies du CIRC

I I Rusyn (États-Unis) – Président du Groupe de Travail ; L Fritschi (Australie) ; C M Sergi (Canada); J Hansen (Danemark) ; F Le Curieux (Finlande) ; H M Bolt (Allemagne) ; S Fukushima, G Ichihara, K Kamae, S Kumagai, H Tsuda (Japon) ; K Kjaerheim (Norvège) ; S M Bartell, M F Cesta, W Chiu, G Cooper, J C DeWitt, M Friesen, L H Lash, K Steenland (États-Unis)

Déclaration d’intérêts

Les recherches de SMB ont été financées par l’accord de règlement de la plainte collective déposée par C8 à l’encontre de DuPont ; les fonds étaient gérés par le Garden City Group, faisant état de leur utilisation auprès du Tribunal (les travaux de SMB étaient indépendants des deux parties impliquées dans le procès). SMB a également reçu un financement de la part des National Institutes of Health, du California Air Resources Board et de la US Environmental Protection Agency.

Spécialistes invités

J W Cherrie (Royaume-Uni) Déclaration d’intérêts JWC a reçu un financement de recherche de l’Association des fabricants de plastiques Europe (Plastics Europe) jusqu’en 2012 : European Chemical Industry Council, European Solvents Industry Group, Shell, et Concawe (l’association de l’industrie pétrolière pour l’environnement, la santé et la sécurité).

Représentants

M Bisson, pour l’INERIS (Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques, France)

Observateurs

J Arts pour le REACH Chlorsolv Consortium, la European Chlorinated Solvent Association et la Halogenated Solvents Industry Alliance (Pays-Bas) ; J L Butenhoff pour le PlasticsEurope Fluoropolymers Group (États-Unis) ; J Carretier pour le Centre Léon Bérard (France) ; A Forrest pour les United Fire Fighters of Winnipeg (Canada) ; G W Olsen pour the Center for Advancing Risk Assessment Science and Policy of the American Chemistry Council (États-Unis) ; J M Symons IV pour le PlasticsEurope Fluoropolymers Group (États-Unis)

Déclaration d’intérêts

JA est employé par AkzoNobel. JLB est retraité mais employé (à temps partiel) par 3M ; il perçoit une pension de retraite, des avantages et des indemnités de déplacement de la part de 3M ; il possède de plus des actions 3M. GWO est employé par 3M ; reçoit des indemnités de déplacement de la part de 3M ; il possède de plus des actions 3M. JMS est employé par DuPont.

Secrétariat du CIRC/OMS

L Benbrahim-Tallaa ; V Bouvard ; F El Ghissassi ; Y Grosse ; N Guha ; K Z Guyton ; B Lauby-Secretan ; D Loomis ; H Mattock ; M Olivier ; A Shapiro ; K Straif ; F Sylla ; A Takeuchi ; I Zastenskaya ; J Zavadil

Centre international de Recherche sur le Cancer, Lyon, France.

    Références

    1. Centre international de Recherche sur le Cancer : Volume 110 : Acide perfluorooctanoïque, tetrafluoroéthylène, dichlorométhane, 1,2-dichloropropane, 1,3-propane sultone. Groupe de travail du CIRC ; Lyon, 3–10 juin 2014. IARC Monogr Eval Carcinog Risk Chem Hum (in press).

    2. Kumagai S, Kurumatani N, Arimoto A, Ichihara G. Cholangiocarcinoma among off set colour proof-printing workers exposed to 1,2-dichloropropane and/or dichloromethane. Occup Environ Med 2013; 70: 508–10.

    3. Kubo S, Nakanuma Y, Takemura S, et al. Case series of 17 patients with cholangiocarcinoma among young adult workers of a printing company in Japan. J Hepatobiliary Pancreat Sci 2014; 21: 479–88.

    4. National Toxicology Program. NTP toxicology and carcinogenesis studies of 1,2-dichloropropane (propylene dichloride) (CAS no. 78-87-5) in F344/N rats and B6C3F1 mice (gavage studies). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 1986; 263: 1–182.

    5. Matsumoto M, Umeda Y, Take M, Nishizawa T, Fukushima S. Subchronic toxicity and carcinogenicity studies of 1,2-dichloropropane inhalation to mice. Inhal Toxicol 2013; 25: 435–43.

    6. Lanes SF, Rothman KJ, Dreyer NA, Soden KJ. Mortality update of cellulose fi ber production workers. Scand J Work Environ Health 1993; 19: 426–28.

    7. Gibbs GW, Amsel J, Soden K. A cohort mortality study of cellulose triacetate-fi ber workers exposed to methylene chloride. J Occup Environ Med 1996; 38: 693–97.

    8. Wang R, Zhang Y, Lan Q, et al. Occupational exposure to solvents and risk of non-Hodgkin lymphoma in Connecticut women. Am J Epidemiol 2009; 169: 176–85.

    9. National Toxicology Program. NTP toxicology and carcinogenesis studies of dichloromethane (methylene chloride) (CAS no. 75-09-2) in F344/N rats and B6C3F1 mice (inhalation studies). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 1986; 306: 1–208.

    10.  National Toxicology Program. NTP toxicology and carcinogenesis studies of tetrafluoroethylene (CAS no. 116-14-3) in F344 rats and B6C3F1 mice (inhalation studies). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 1997; 450: 1–321.

    11. Doak SM, Simpson BJ, Hunt PF, Stevenson DE. The carcinogenic response in mice to the topical application of propane sultone to the skin. Toxicology 1976; 6: 139–54.

    12. Weisburger EK, Ulland BM, Nam J, Gart JJ, Weisburger JH. Carcinogenicity tests of certain environmental and industrial chemicals. J Natl Cancer Inst 1981; 67: 75–88.

    13. Steenland K, Woskie S. Cohort mortality study of workers exposed to perfl uorooctanoic acid. Am J Epidemiol 2012; 176: 909–17.

    14. Vieira VM, Hoffman K, Shin HM, Weinberg JM, Webster TF, Fletcher T. Perfluorooctanoic acid exposure and cancer outcomes in a contaminated community: a geographic analysis. Environn Health Perpect 2013; 121:318-23.

    15. Barry V, Winquist A, Steenland K. Perfluorooctanoic acid (PFOA) exposures and incident cancers among adults living near a chemical plant. Environ Health Perspect 2013; 121: 1313–18.

Auteur : Département Prévention Cancer Environnement, Centre Léon Bérard

Relecture : Section des Monographies du CIRC ; Groupe Communication du CIRC.

Mise à jour le 08 juil. 2022

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