Présentation
En février-mars 2023, un Groupe de travail composé de 20 chercheurs de 10 pays différents s’est réuni à l’invitation du Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) à Lyon, en France, pour finaliser son évaluation de la cancérogénicité de quatre agents : l’anthracène, le 2-bromopropane, le méthacrylate de butyle (BMA) et le phosphonate de diméthyle (DMHP).
Le 2-bromopropane a été classé comme « probablement cancérogène pour l’homme » (Groupe 2A) sur la base d’indications « suffisantes » de cancer chez les animaux de laboratoire (en notant un degré inhabituellement élevé d’activité cancérogène) et d’indications mécanistiques « fortes » dans les systèmes expérimentaux, étayées par des indications suggestives d’immunosuppression et de modulation des effets médiés par les récepteurs chez les travailleurs exposés. Les trois autres agents ont été classés comme « peut-être cancérogènes pour l’homme » (Groupe 2B) sur la base d’indications « suffisantes » de cancer chez les animaux de laboratoire. Les indications de cancer chez les animaux de laboratoire étaient « suffisantes » parce qu’une incidence accrue de néoplasmes malins ou une combinaison appropriée de néoplasmes bénins et malins a été observée i) chez deux espèces, pour l’anthracène et le BMA ; et ii) chez les deux sexes d’une seule espèce dans une étude respectant les bonnes pratiques de laboratoire (BPL), pour le 2-bromopropane et le DMHP. Pour les quatre agents, les indications concernant le cancer chez l’homme étaient « insuffisantes », car aucune étude n’était disponible. Ces évaluations seront publiées dans le volume 133 des Monographies du CIRC1.
L’anthracène est un hydrocarbure aromatique polycyclique (HAP) produit en grande quantité. Il est utilisé comme intermédiaire dans la fabrication de colorants et de pigments, de produits pyrotechniques, de revêtements, de produits de préservation du bois, de pesticides et d’autres produits chimiques organiques. Il se forme avec d’autres HAP lors de la combustion incomplète ou la pyrolyse de matières organiques et constitue un polluant environnemental omniprésent, issu de processus tant anthropiques que naturels. L’exposition professionnelle se produit principalement par inhalation et par contact cutané dans diverses industries et activités, notamment la fabrication de noir de carbone, de créosote ou de produits contenant de la créosote, d’anodes de carbone pour l’électrolyse de l’aluminium et de matériaux ignifuges, ainsi que la cokéfaction, l’enlèvement des toits en goudron de houille, le pavage d’asphalte et la lutte contre les incendies. L’exposition de la population générale est multiple : tabagisme, ingestion d’aliments et de boissons, inhalation d’air pollué (combustion intérieure ou extérieure de biomasse, trafic routier et émissions industrielles) et contact avec des sols ou des produits de consommation contaminés. Les aliments contaminés constituent la principale source d’absorption d’anthracène par la population non fumeuse et non professionnellement exposée. L’indication indirecte de l’absorption est principalement fournie par la mesure des niveaux de HAP dans l’urine après une exposition professionnelle, mais l’anthracène est également détecté dans le sang et dans plusieurs autres tissus de la population générale. Chez les souris Crj:BDF1 et les rats F344/DuCrj exposés par l’alimentation, l’anthracène a provoqué des carcinomes hépatocellulaires et des adénomes ou carcinomes hépatocellulaires (combinés), ainsi que des sarcomes histiocytaires dans plusieurs localisations tissulaires chez les souris femelles ; des carcinomes hépatocellulaires et des adénomes ou carcinomes hépatocellulaires (combinés), ainsi que des papillomes ou carcinomes à cellules transitionnelles (combinés) de la vessie chez les rats mâles ; et des adénomes ou carcinomes à cellules rénales (combinés), ainsi que des sarcomes du stromal endométrial chez les rats femelles2. L’anthracène nécessite une photoactivation ou une modification par interaction avec le NO2 pour exercer des effets génotoxiques. Les indications mécanistiques étaient « limitées » pour les caractéristiques clés des cancérogènes (génotoxicité, stress oxydatif et modulation des effets médiés par les récepteurs).
Le 2-bromopropane est un solvant utilisé comme intermédiaire chimique dans la production de produits pharmaceutiques, de colorants, d’adhésifs et d’autres produits organiques. Le 2-bromopropane est une impureté du 1-bromopropane, un substitut des solvants appauvrissant la couche d’ozone et d’autres solvants. L’exposition professionnelle au 2-bromopropane se produit par voie respiratoire et cutanée lors de sa production, de son utilisation comme solvant de nettoyage, de son utilisation dans la production et l’application d’adhésifs, ainsi que lors de la production et l’utilisation du 1-bromopropane. Aucune donnée n’était disponible sur l’exposition de la population générale. Chez les rats F344/DuCrlCrlj mâles et femelles exposés par inhalation au 2-bromopropane, on a observé un degré inhabituellement élevé d’activité cancérogène en ce qui concerne l’incidence, la localisation et les types de tumeurs. Le 2-bromopropane a provoqué des tumeurs malignes et/ou des tumeurs bénignes ou malignes (combinées) dans les tissus suivants : glande de Zymbal, cellules des îlots pancréatiques, rate, hypoderme, gros intestin et peau/appendices chez les mâles et les femelles ; intestin grêle, ganglions lymphatiques, estomac, glande préputiale, glande thyroïde et cerveau chez les mâles ; et glande mammaire, vagin, glande clitoridienne et utérus chez les femelles3. Les indications mécanistiques concernant le 2-bromopropane étaient « fortes » dans les systèmes expérimentaux pour les caractéristiques clés des cancérogènes, avec des indications constantes et cohérentes pour la génotoxicité, le stress oxydatif et l’immunosuppression. De multiples études ont montré que le 2-bromopropane provoquait des lésions de l’ADN dans les leucocytes humains, la formation de micronoyaux chez les rongeurs et des mutations génétiques chez les bactéries. En outre, le 2-bromopropane a modifié plusieurs biomarqueurs du stress oxydatif dans les cellules souches embryonnaires humaines et chez les rongeurs in vivo et in vitro. Dans de multiples études sur les rongeurs, le 2-bromopropane a provoqué une hématotoxicité et une diminution des thymocytes, des lymphocytes spléniques, des cellules T et de l’hématopoïèse4,5. Les indications mécanistiques étaient suggestives chez les humains exposés pour l’immunosuppression et une modulation des effets médiés par les récepteurs. Chez les travailleurs exposés à des niveaux élevés de 2-bromopropane, on a observé une pancytopénie, une hématotoxicité, une hypoplasie de la moelle osseuse et une augmentation des gonadotrophines hypophysaires accompagnée d’une insuffisance ovarienne6,7.
Le BMA est un produit chimique produit en grande quantité utilisé dans les revêtements, les plastiques à base de chlorure de polyvinyle, les matériaux non tissés en polypropylène, les colles, les calfeutrages et autres produits d’étanchéité, les encres et les peintures, les pesticides et les matériaux de soins de santé. Les expositions par inhalation les plus élevées ont été mesurées chez les travailleurs du secteur de la fabrication de peintures et d’adhésifs. Chez les souris B6D2F1/Crl, l’inhalation de BMA a provoqué des adénomes ou carcinomes hépatocellulaires (combinés) et des sarcomes histiocytaires de toutes les localisations chez les mâles, et des hémangiosarcomes de toutes les localisations chez les femelles. Chez les rats F344/DuCrlCrlj, l’inhalation de BMA a provoqué des leucémies à cellules mononucléaires de la rate chez les mâles et des adénomes ou carcinomes (combinés) à cellules C de la glande thyroïde chez les femelles8,9. Les indications mécanistiques étaient « insuffisantes ».
Le DMHP est un produit chimique produit en grande quantité utilisé comme intermédiaire dans la fabrication de pesticides organophosphorés et de produits pharmaceutiques (α-aminophosphonates). Il s’agit également d’un stabilisateur dans l’huile et le plâtre, d’un inhibiteur de corrosion de l’acier et d’un retardateur de flamme réactif dans les textiles, les fibres de polyamide greffées d’acroléine et le polyéthylène. Les données relatives à l’exposition humaine sont rares pour le DMHP, mais il a été détecté dans l’air d’une usine produisant des retardateurs de flamme. Aucune donnée n’est disponible sur la présence de DMHP dans l’environnement ou sur l’exposition de la population générale. Chez les rats F344/N, le DMHP administré par gavage a provoqué des carcinomes bronchoalvéolaires, des adénomes ou carcinomes bronchoalvéolaires (combinés), des carcinomes épidermoïdes du poumon, des carcinomes épidermoïdes et des papillomes ou carcinomes épidermoïdes (combinés) du préestomac chez les mâles, et des carcinomes bronchoalvéolaires chez les femelles10. Les indications mécanistiques étaient « limitées » pour les caractéristiques clés des cancérogènes, avec des indications suggestives pour la génotoxicité, l’induction d’une inflammation chronique et l’altération de la prolifération cellulaire, de la mort cellulaire ou de l’apport en nutriments.
Centre international de Recherche sur le Cancer, Lyon, France
Lancet Oncol 2023
Article en anglais publié en ligne le 23 mars 2023 https://doi.org/10.1016/ S1470-2045(23)00141-9
IJY déclare être un employé de HCT Co., Ltd, une ancienne filiale de Hyundai Electronics, dont le travail peut impliquer des intérêts concurrents pour les sujets abordés lors de cette réunion des Monographies du CIRC. Tous les autres auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Russell C Cattley, Hans Kromhout, Meng Sun, Erik J Tokar, Mohamed A-E Abdallah, Alison K Bauer, Kendra R Broadwater, Laura Campo, Emanuela Corsini, Keith A Houck, Gaku Ichihara, Michiharu Matsumoto, Simone Morais, Jaroslav Mráz, Tetsuo Nomiyama, Kristen Ryan, Huizhong Shen, Takeshi Toyoda, Kirsi Vähäkangas, Marianna G Yakubovskaya, Il Je Yu, Nathan L DeBono, Aline de Conti, Fatiha El Ghissassi, Federica Madia, Heidi Mattock, Elisa Pasqual, Eero Suonio, Roland Wedekind, Lamia Benbrahim-Tallaa*, Mary K Schubauer-Berigan* *Co-auteurs principaux
Membres du Groupe de travail de la Monographie du CIRC
RC Cattley (Etats-Unis) – Président de la réunion ; H Kromhout (Pays-Bas) ; M Sun (Etats-Unis) ; EJ Tokar (Etats-Unis) – Vice-Présidents de la réunion ; MA-E Abdallah (Royaume-Uni) ; AK Bauer (Etats-Unis) ; KR Broadwater (Etats-Unis) ; L Campo (Italie) ; E Corsini (Italie) ; KA Houck (Etats-Unis) ; G Ichihara (Japon) ; M Matsumoto (Japon) ; S Morais (Portugal) ; J Mráz (République tchèque) ; T Nomiyama (Japon) ; K Ryan (Etats-Unis) ; H Shen (République populaire de Chine) ; T Toyoda (Japon) ; KH Vähäkangas (Finlande) ; MG Yakubovskaya (Fédération de Russie).
Déclaration d’intérêts
Les membres du Groupe de travail déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Spécialistes invités
IJ Je Yu, Hyundai Calibration & Certification Technologies Co Ltd, République de Corée
Déclaration d’intérêts
IJY déclare être un employé de HCT Co., Ltd, une ancienne filiale de Hyundai Electronics, dont le travail peut impliquer des intérêts concurrents pour les sujets abordés lors de cette réunion des Monographies du CIRC.
Représentants
C Dellavalle, National Cancer Institute, Etats-Unis
Déclaration d’intérêts
CD déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Observateurs
G Tuschl, Methacrylate REACH Task Force (MRTF), Allemagne
Déclaration d’intérêts
GT est employé par Rohm GmbH, fabricant de méthacrylate de butyle. Rohm est membre du Groupe de travail REACH sur le méthacrylate et a payé le voyage de GT à la réunion du CIRC.
Secrétariat du CIRC
L Benbrahim-Tallaa ; A de Conti ; NL DeBono ; F El Ghissassi ; F Madia ; H Mattock ; E Pasqual ; MK Schubauer-Berigan ; E Suonio ; R Wedekind
Déclaration d’intérêts
Les membres du Secrétariat déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Prochaines réunions
6–13 juin 2023 : Volume 134 : Aspartame, méthyleugénol et isoeugénol.
25-28 juillet 2023 : Atelier scientifique sur les critères associés aux caractéristiques clés pour l’évaluation des indications mécanistiques des dangers cancérogènes
7-14 novembre 2023 : Volume 135 : Acide perfluorooctanoïque (PFOA) et acide perfluorooctanesulfonique (PFOS)
Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir : https://monographs.iarc.who.int/
Pour le Préambule des Monographies du CIRC, voir : https://monographs.iarc.who.int/wp-content/uploads/2019/07/Preamble-2019.pdf
Pour les déclarations d’intérêts faites au CIRC, voir : https://monographs.iarc.who.int/wp-content/uploads/2022/02/List_of_Participants_Vol133.pdf
Clause de non-responsabilité
Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement les décisions, la politique ou les points de vue de leurs institutions respectives.
L’autorisation pour la traduction des documents « Questions et Réponses » et « Infographie » pour la Monographie Volume 133 – Cancérogénicité de l’anthracène, du 2-bromopropane, du méthacrylate de butyle et du phosphonate de diméthyle a été accordée en 2023 par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), qui reste le détenteur des droits d’auteur de la version originale. L’autorisation de traduction en français a été accordée par le détenteur des droits d’auteur au Centre Léon Bérard, qui détient les droits de la traduction et est seul responsable de celle-ci. Les conditions d’utilisation des contenus produits par le CIRC sont disponibles ici.