Vol. 100B : Agents biologiques

Présentation

En février 2009, 36 scientifiques venus de 16 pays se sont réunis au Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC/IARC) pour réévaluer la cancérogénicité des agents biologiques classés comme « cancérogènes pour l’Homme » (Groupe 1) ainsi que pour identifier de nouveaux types de cancers et les mécanismes de cancérogénèse associés (tableaux 1 et 2). Ces évaluations seront publiées en tant que deuxième partie (B) du Volume 100 des Monographies du CIRC.1

Plus de 300 millions de personnes sont infectées par le virus de l’hépatite B (VHB) et plus de 170 millions par le virus de l’hépatite C (VHC) à travers le monde, principalement en Asie et en Afrique. On sait que l’infection chronique par ces virus provoque un carcinome hépatocellulaire.2 On dispose aujourd’hui de preuves suffisantes pour conclure que l’infection chronique par le VHC peut aussi provoquer un lymphome non-hodgkinien, particulièrement un lymphome à cellules B. Dans une étude d’intervention, l’administration d’un agent antiviral l’interféron à des patients infectés par le virus VHC et atteints de lymphome splénique, a montré une régression du lymphome.3

Le virus d’Epstein-Barr (EBV) infecte presque tout le monde et provoque plusieurs types de cancer, y compris le carcinome du nasopharynx, l’un des cancers les plus répandus dans l’Asie du Sud-Est ainsi que le lymphome de Burkitt de l’enfant en Afrique. De nouvelles preuves mettent aussi en évidence le rôle de l’EBV dans 5 à 10% de carcinomes gastriques dans le monde.4 Le carcinome gastrique positif pour EBV se développe à un stade précoce de la vie et a une histopathologie spécifique, il pourrait par conséquent représenter une entité clinique distincte.5 Dans ce sous-type des tumeurs gastriques, la présence du génome viral sous forme monoclonale et l’expression des protéines transformantes de l’EBV sont des preuves solides de l’implication d’EBV.6

Les données de 22 études de cohorte et 80 études cas-témoins montrent une association entre le virus herpétique associé au sarcome de Kaposi (KSHV) et le sarcome de Kaposi, avec des risques relatifs supérieurs à 10. La plupart des études portent sur des patients transplantés et sur des personnes infectées par le VIH-1 (virus de l’immunodéficience humaine). Pour ces deux catégories de patients immunodéprimés, infectés ou non par le VIH-1, le risque de sarcome de Kaposi augmente en fonction de l’augmentation du titre d’anticorps dirigés contre le KSHV qui sont des marqueurs de la charge virale. 78Des preuves suffisantes montrent que le KSHV provoque aussi le lymphome primaire d’effusion, un sous-groupe rare de lymphome non-hodgkinien à cellules B. Les données mécanistiques confirment le rôle oncogénique du KSHV dans le sarcome de Kaposi et dans le lymphome primaire d’effusion – chez des sujets immuno-compromis et ceux apparemment immunocompétents. Le KSHV est aussi associé à la maladie de Castleman multicentrique.

Les personnes infectées par le VIH-1 ont un risque élevé de cancer. L’infection au VIH-1, principalement à cause de l’immunosuppression qui en résulte, entraîne une réplication accrue des virus oncogéniques tels que l’EBV et le KSHV. Bien que la thérapie antirétrovirale abaisse le risque de nombreux cancers associés au VIH-1, les risques demeurent élevés.9

Le cancer du col de l’utérus est provoqué par plusieurs types de virus du papillome humain (VPH). Ces VPHs appartiennent tous à quelques espèces à « haut risque » du genre alpha à tropisme muqueux, phylogénétiquement apparentées (alpha -5, 6, 7, 9, 11).10,11Les types de virus trouvés le plus fréquemment dans le cancer du col de l’utérus (VPH-16, 18, 31, 33, 35, 45, 52, 58) ainsi que quatre types moins répandus (VPH-39, 51, 56, 59) ont été classés dans le Groupe 1 (tableau 2). Le risque de cancer peut être dix fois plus élevé pour les infections par le VPH-16 que pour les infections par les autres types de VPH « à haut risque ». Le VPH-68 a été classé comme « probablement cancérogène pour l’Homme » (Groupe 2A) sur la base de preuves limitées chez l’Homme et des preuves mécanistiques solides. Les autres types de VPH restants dans la liste des espèces alpha « à haut risque » ont été classés comme «cancérogènes possibles» (Groupe 2B ; tableau 2). Enfin, le VPH-6 et le VPH-11 qui appartiennent à l’espèce alpha10 ont été évalués comme « inclassables en ce qui concerne la cancérogénicité chez l’Homme » (Groupe 3) sur la base de preuves épidémiologiques inadéquates et l’absence de preuves concernant leur potentiel cancérogène dans les nombreuses études mécanistiques.

Le Groupe de Travail reconnaît la nécessité de recherches supplémentaires sur les types de VPH cutanés appartenant aux genres bêta et gamma. Ces types de VPH très répandus ont été classés dans le Groupe 3 sur la base de données non concluantes en ce qui concerne leur capacité à provoquer un cancer de la peau chez l’Homme et de données mécanistiques insuffisantes. Deux exceptions, les VPH-5 et VPH-8 de type bêta ont été classés comme « cancérogènes possibles » chez les patients atteints d’épidermodysplasie verruciforme (Groupe 2B). L’infection à Helicobacter pylori est associée au cancer gastrique,12 un des cancers ayant la plus forte prévalence dans le monde. Les études épidémiologiques prospectives et les essais d’éradication montrent que l’infection à H. pylori provoque le cancer gastrique non cardial.13 L’infection à H. pylori provoque aussi le lymphome gastrique à cellules B du tissu lymphoïde associé aux muqueuses (MALT); le traitement d’éradication conduit à la rémission de ces lymphomes de bas grade.14 Plusieurs études montrent que les personnes infectées par H. pylori, comparées aux personnes non infectées, ont un risque réduit d’adénocarcinome de l’œsophage.15

Opisthorchis viverrini et Clonorchis sinensis, deux douves du foie appartenant au genre Opisthorchis, sont endémiques dans le Nord-Est de la Thaïlande et dans de nombreuses régions du Sud-Est asiatique respectivement. Dans certaines régions, la prévalence de l’infection aux douves du foie est corrélée avec l’incidence du cholangiocarcinome et plusieurs études cas-témoins ont montré un risque élevé pour ce cancer.16,17 Par conséquent, les infections chroniques à O viverrini ou à C sinensis ont été toutes deux classées dans le Groupe 1.

Schistosoma haematobium est endémique dans la plupart des pays d’Afrique et dans l’Est du bassin méditerranéen. L’infection chronique par ce ver, qui provoque le cancer de la vessie, est classée dans le Groupe 1.

Il a été estimé récemment que plus de 20% des cancers sont imputables à des agents infectieux4. L’identification dans cette Monographie de nouveaux types de cancers attribués à ces agents signifie qu’une proportion plus importante de cancers peut potentiellement être évitée.

Tableau 1 : Agents biologiques évalués par le Groupe de Travail des Monographies du CIRC

Agents du groupe 1 Cancers avec des preuves suffisantes chez l’Homme Autres localisations avec des preuves limitées chez l’Homme Evénements mécanistiques établis
Virus Epstein-Barr (EBV)
Carcinome du nasopharynx,
Lymphome de Burkitt,
Lymphome non-hodgkinien associé à une immuno-suppression,
Lymphome T/NK extra-nodal (de type nasal), 
Lymphome hogdkinien
Carcinome gastrique* Carcinome de type épithéliome lymphoïde* Prolifération cellulaire, inhibition de l’apoptose, instabilité génomique, migration cellulaire
Virus de l’hépatite B (VHB) Carcinome hépatocellulaire Cholangiocarcinome* Lymphome non hodgkinien* Inflammation, cirrhose du foie, hépatite chronique
Virus de l’hépatite C (VHC) Carcinome hépatocellulaire Lymphome non hodgkinien* Cholangiocarcinome* Inflammation, cirrhose du foie, fibrose du foie
 Virus herpétique associé au sarcome de Kaposi (KSHV) Sarcome de Kaposi*       Lymphome primaire d’effusion* Maladie de Castleman multicentrique* Prolifération cellulaire, inhibition de l’apoptose, instabilité génomique, migration cellulaire
Virus de l’immunodéficience humaine, type 1

(VIH-1)

 Sarcome de Kaposi    Lymphome non-hodgkinien, Lymphome hodgkinien*    Cancer du col de l’utérus* de l’anus*, de la conjonctive*  Cancer de la vulve* du vagin* du pénis*  Cancer de la peau non mélanome*      Carcinome hépatocellulaire* Immunosuppression (action indirecte)
Virus du papillome humain type 16 (VPH-16)† Carcinome du col de l’utérus, de la vulve, du vagin, du pénis, de l’anus, de la cavité orale, de l’oropharynx et des amygdales Cancer du larynx Immortalisation, instabilité génomique, inhibition de la réponse aux dommages de l’ADN, activité anti-apoptotique
Virus lymphotrope T humain de type -1 (HTLV-1)  Leucémie et lymphome de l’adulte à cellules T  – Immortalisation et transformation des cellules T
Helicobacter pylori Carcinome gastrique non cardial,                       Lymphome gastrique du tissu lymphoïde associé aux muqueuses (MALT) de cellules B de faible malignité  Inflammation, stress oxydatif, altération du renouvellement cellulaire et de l’expression des gènes, méthylation, mutation
Clonorchis sinensis  Cholangiocarcinome*  –
Opisthorchis viverrini Cholangiocarcinome  –  Inflammation, stress oxydatif, prolifération cellulaire
Schistosoma haematobium Cancer de la vessie Inflammation, stress oxydatif

*: Nouveau type de cancer identifié pour l’agent infectieux. †: Pour les autres types, voir le tableau 2

Tableau 2 : Types de virus du papillome humain (VPH) évalués par le Groupe de Travail des Monographies du CIRC

 Groupe Type de VPH Commentaires
                    Types VPH alpha
1 16 Le plus puissant des VPHs, responsabilité avérée pour plusieurs types de cancer
1 18, 31, 33, 35, 39, 45, 51, 52, 56, 58, 59 Preuves suffisantes pour le cancer du col de l’utérus
 2A 68 Preuves limitées chez l’Homme et preuves mécanistiques solides pour le cancer du col de l’utérus
2B
 26, 53, 66, 67, 70, 73, 82
 Preuves limitées chez l’Homme pour le cancer du col de l’utérus
2B 30, 34, 69, 85, 97 Classés par analogie phylogénétique avec les types de VPHs pour lesquels les preuves sont suffisantes ou limitées chez l’Homme
3  6, 11   –
                    Types VPH bêta
2B  5 et 8 Preuves limitées pour le cancer de la peau chez les patients atteints d’épidermodysplasie verruciforme
3 Autres types bêta et gamma  –

Véronique Bouvard, Robert Baan, Kurt Straif, Yann Grosse, Béatrice Secretan, Fatiha El Ghissassi, Lamia Benbrahim-Tallaa, Neela Guha, Crystal Freeman, Laurent Galichet, Vincent Cogliano, représentant le Groupe de Travail pour les Monographies du Centre International de Recherche sur le Cancer, OMS Centre International de Recherche sur le Cancer, Lyon, France.

Les auteurs du CIRC ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêt.

D. Blair était présent en tant que représentant de l’Institut National du Cancer des Etats-Unis (US National Cancer Institute, Bethesda, MD, USA).

F. Buonaguro (NCI, Naples, Italie) et A. Fiander (Cardiff University, Cardiff, R-U) étaient présents en tant qu’observateurs.

​Article disponible en anglais

Bouvard V, Baan R, Straif K, Grosse Y, Secretan B, Ghissassi FE, et al. A review of human carcinogens—Part B: biological agents. The Lancet Oncology. 2009 Apr;10(4):321–2: https://doi.org/10.1016/S1470-2045(09)70096-8

Consultez les archives page 430. Pour plus d’informations sur les monographies du CIRC, voir : http://monographs.iarc.fr/

Membres du groupe de travail de la monographie

T. F. Schulz—Co-président (Allemagne), N. Mueller—Co-président (USA); A. Grulich, F. Sitas (Australie); K. Polman (Belgique); C. J. Chen, Y. Y. Fang (Chine); R. Herrero (Costa Rica); B. J. Vennervald (Danemark); R. Mahieux, F. Mégraud, F. Zoulim (France); H. Blum, H. zur Hausen (tous deux excusés) (Allemagne); L. Banks, A. Carbone, D. Serraino (Italie); M. Matsuoka (Japon); S. T. Hong (Corée du Sud); M. C. Kew (Afrique du Sud); S. de Sanjosé (Espagne); I. Ernberg (Suède); B. Sripa (Thaïlande); A. Hall, D. Forman, R. Newton (R-U); E. Cesarman, D. Dittmer, E. T. H. Fontham, P. F. Lambert, S. Moss, E. Murphy, M. Schiffman, S. Stuver, D. Whitby (USA)

Conflits d’intérêts

SDS est financé par Merck et Sanofi -Pasteur. AG a été financé par CSL et est conseiller pour CSL. RM a agi comme consultant pour MP Biomedicals. SM a travaillé dans une agence de communication pour Otsuka Pharmaceuticals et était consultant pour Altana. NuM est membre du comité d’accompagnement et d’une agence de communication travaillant pour Merck et Sanofi – Pasteur. EM détient des actions dans Genentech. CJC a été financé par Bristol-Myer-Squibb.

Spécialiste invitée

N. Muñoz (CIRC, France; retraitée)

    Références

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Auteur : Département Prévention Cancer Environnement, Centre Léon Bérard

Relecture : Section des Monographies du CIRC

Mise à jour le 08 juil. 2022

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