Vol. 135 : Cancérogénicité de l’acide perfluorooctanoïque (PFOA) et l’acide perfluorooctanesulfonique (PFOS)

Présentation

En novembre 2023, un Groupe de travail de 30 chercheurs de 11 pays s’est réuni au Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) à Lyon, en France, pour finaliser l’évaluation de la cancérogénicité de deux agents : l’acide perfluorooctanoïque (PFOA) et l’acide perfluorooctanesulfonique (PFOS), y compris leurs isomères et sels correspondants.

Le PFOA a été classé comme « cancérogène pour l’humain » (Groupe 1) sur la base d’indications « suffisantes » de cancer chez l’animal de laboratoire et de « fortes » indications mécanistiques chez les humains exposés. Les indications de cancer chez l’animal de laboratoire étaient « suffisantes » parce qu’une incidence accrue d’une combinaison appropriée de néoplasmes bénins et malins a été observée chez les deux sexes d’une seule espèce dans le cadre d’une étude de bonnes pratiques de laboratoire (BPL). Les indications mécanistiques étaient « fortes » chez les humains exposés car il a été constaté que le PFOA induisait des modifications épigénétiques et qu’il était immunosuppresseur. En outre, il existe des indications « limitées » de cancer chez l’humain pour le carcinome des cellules rénales et le cancer du testicule. Le PFOS a été classé comme « peut-être cancérogène pour l’humain » (Groupe 2B) sur la base d’indications mécanistiques « fortes ». Les indications de cancer chez l’animal de laboratoire étaient « limitées » pour le PFOS et les indications chez l’humain étaient « insuffisantes ». Ces évaluations seront publiées dans le Volume 135 des Monographies du CIRC1.

Le PFOA et le PFOS sont des substances poly et perfluoroalkylées (PFAS) qui ont été largement utilisées dans les applications industrielles et dans les produits de consommation en raison de leurs qualités hydrophobe et lipophobe, leurs propriétés tensioactives et leur stabilité chimique. Le PFOA a été largement utilisé dans la fabrication de polymères fluorés. Les applications des polymères fluorés et du PFOA comprennent les revêtements de surface pour la résistance aux taches, à l’huile et à l’eau des objets domestiques, tapis, textiles et emballages alimentaires ; les produits de soins ; les joints d’étanchéité ; les revêtements de câbles et fils ; et les matériaux de construction.

Le PFOS a des applications qui se chevauchent avec celles du PFOA – notamment dans les cires, les tapis, et les emballages alimentaires – et a également été utilisé pour fabriquer des dispositifs d’imagerie, des semi-conducteurs, des colorants et encres, ainsi que dans les processus de photolithographie et d’électrodéposition. Le PFOS a été largement utilisé pour les mousses anti-incendie de classe B, désignées comme mousses filmogènes aqueuses (ou mousses AFFF [pour agent formant un film flottant]). Le PFOA et le PFOS sont extrêmement résistants à la dégradation et sont présents dans le monde entier, mais les niveaux environnementaux varient considérablement dans les différentes régions en raison des différentes sources de pollution.

Les populations exposées professionnellement sont parmi les plus exposées au PFOA et au PFOS, principalement par inhalation, mais aussi par absorption cutanée et ingestion de poussières. L’exposition la plus importante se produit dans la fabrication de produits chimiques fluorés. La population générale est principalement exposée au PFOA et au PFOS par le biais de l’alimentation et de l’eau potable, et potentiellement par les produits de consommation. Dans les communes situées à proximité de sites pollués, la population générale est principalement exposée via l’eau potable. Le PFOA et le PFOS sont détectés dans des échantillons sanguins de populations étudiées dans le monde entier, et les niveaux médians sont jusqu’à cent fois plus élevés chez les individus vivant à proximité de sites pollués. Une partie de la charge corporelle peut également provenir de précurseurs, à savoir des PFAS qui se transforment en PFOA ou PFOS dans l’organisme. Il n’y a pas d’indications de la biotransformation du PFOA ou du PFOS . Ils s’accumulent dans divers tissus, y compris le sang, le foie et les poumons. Ils sont détectés dans le placenta, le cordon ombilical et les tissus embryonnaires, et ils peuvent être transmis aux nourrissons via le lait maternel. Les deux agents subissent une circulation entéro-hépatique et une réabsorption rénale. Ils sont éliminés dans les urines et les selles avec des demi-vies de l’ordre de plusieurs années chez l’humain, ou de quelques heures à quelques mois chez l’animal de laboratoire.

Depuis la précédente classification du PFOA (comme « peut-être cancérogène pour l’humain », Groupe 2B) par les Monographies du CIRC en 20142, de nombreuses nouvelles études ont examiné l’association entre l’exposition au PFOA et le cancer chez l’animal de laboratoire et chez l’humain, ainsi que mécanismes pertinents aux caractéristiques clés des agents cancérogènes. Chez les rats mâles Sprague-Dawley, le PFOA dans l’alimentation a induit des adénomes hépatocellulaires, des adénomes ou carcinomes hépatocellulaires (combinés), des adénomes des cellules acineuses du pancréas, et des adénomes ou adénocarcinomes des cellules acineuses du pancréas (combinés), ainsi qu’une tendance positive, statistiquement significative de l’incidence du carcinome hépatocellulaire. Chez les rats femelles Sprague-Dawley, le PFOA a provoqué des adénocarcinomes utérins et une tendance positive, statistiquement significative de l’incidence de l’adénome ou de l’adénocarcinome des cellules acineuses du pancréas (combinés), a été observée3.

Concernant les indications mécanistiques, le PFOA induit des altérations épigénétiques. Chez les humains exposés, de nombreuses études ont montré des associations entre les concentrations sériques de PFOA chez les mères et la méthylation de l’ADN d’un gène spécifique chez leurs enfants. Une étude solide d’association panépigénomique a montré la persistance de la méthylation CpG associée au PFOA entre la naissance et l’adolescence4. Ces résultats sont très pertinents pour la cancérogénicité car ils se rapportent à la reprogrammation au cours du développement qui pourrait influencer la prédisposition au cancer chez l’humain. D’autres études menées sur des humains exposés ont révélé des altérations dans l’expression des micro-ARNs liés au cancer et associés à l’exposition au PFOA5. Ces résultats sont corroborés par des études in vivo et in vitro. Le PFOA est immunosuppresseur. De nombreuses études correctement menées dans différentes populations humaines exposées, y compris des enfants et des adultes, ont montré que l’exposition au PFOA est associée à un risque accru de maladies infectieuses et une diminution de la réponse vaccinale à divers antigènes6,7. Ces résultats sont corroborés par les indices d’une diminution de la production de cytokines et d’une réduction de la lymphoprolifération dans les cellules primaires humaines, et par une altération de la réponse des anticorps aux antigènes dépendant des cellules T et aux leucocytes chez les rongeurs. De plus, le PFOA induit un stress oxydatif, module les effets médiés par les récepteurs (via PPARα, CAR/PXR et PPARγ), et modifie la prolifération cellulaire, la mort cellulaire, et l’apport en nutriments et d’énergie dans les cellules primaires humaines et dans des systèmes expérimentaux. Les indications mécanistiques sont également étayées par des données métabolomiques et transcriptomiques.

Pour le PFOA, les indications étaient « limitées » pour le carcinome des cellules rénales et le cancer du testicule chez l‘humain. Par rapport aux données disponibles pour l’évaluation précédente (qui étaient également « limitées » pour les cancers du rein et du testicule)2, des résultats positifs supplémentaires pour le carcinome des cellules rénales ont été trouvés dans une population faiblement exposée8, mais pas dans les analyses principales de deux autres études portant sur des populations faiblement exposées.

Pour le cancer du testicule, des indications supplémentaires ont permis de mettre en évidence une association positive dans une étude écologique menée par le Groupe de travail sur des données disponibles sur les orchidectomies dans la région de la Vénétie en Italie, et une étude américaine n’ayant pas trouvé d’associations9. Pour tous les autres cancers, les indications étaient « insuffisantes », car il n’y avait que des résultats positifs sporadiques.

Comme le PFOA, le PFOS induit des altérations épigénétiques4,5,10 et est immunosuppresseur chez les humains exposés6,7. Les indications concernant le PFOS sont corroborées par des résultats cohérents et homogènes, à la fois dans les cellules humaines et dans les systèmes expérimentaux. Le PFOS induit également un stress oxydatif dans les cellules primaires humaines et dans des systèmes expérimentaux. Notamment, le PFOS module également les effets médiés par la thyroïde et par les androgènes dans les systèmes expérimentaux, et les récepteurs PPARα et CAR/PXR dans les cellules primaires humaines et les systèmes expérimentaux. Les données métabolomiques et transcriptomiques viennent étayer les indications mécanistiques.

Les indications de cancer chez l’animal de laboratoire sont « limitées » pour le PFOS parce qu’une incidence accrue d’une combinaison appropriée de néoplasmes bénins et malins a été observée chez un sexe d’une seule espèce, dans le cadre d’une étude BPL. Le PFOS dans l’alimentation a provoqué des adénomes hépatocellulaires, et des adénomes ou des carcinomes hépatocellulaires (combinés), avec des tendances positives significatives chez les rats femelles Sprague-Dawley11. Les indications concernant le cancer chez humain ont été jugées « insuffisantes » pour le PFOS car, parmi les quelques études disponibles, les résultats positifs ont été observés seulement de manière sporadique et inconstante pour quelques localisations cancéreuses (testicules 9, sein, et thyroïde).

Centre international de Recherche sur le Cancer, Lyon, France

Lancet Oncol 2023

Article en anglais publié en ligne le 30 novembre 2023 : https://www.thelancet.com/journals/lanonc/article/PIIS1470-2045(23)00622-8/fulltext

TF déclare fournir une opinion d’expert pour les plaignants dans le cas d’exposition au PFOA. Un proche parent de RW travaille pour Rowenta, une marque appartenant au Groupe SEB.  Tous les autres auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Shelia Zahm, Jens Peter Bonde, Weihsueh A Chiu, Jane Hoppin, Jun Kanno, Mohamed Abdallah, Chad R Blystone, Miriam M Calkins, Guang-Hui Dong, David C Dorman, Rebecca Fry, Huan Guo, Line S Haug, Jonathan N Hofmann, Motoki Iwasaki, Miroslav Machala, Francesca R Mancini, Silvya S Maria-Engler, Peter Møller, Jack C Ng, Marc Pallardy, Gloria B Post, Samira Salihovic, Jennifer Schlezinger, Anatoly Soshilov, Kyle Steenland, Inger-Lise Steffensen, Volodymyr Tryndyak, Alexandra White, Susan Woskie, Tony Fletcher, Ayat Ahmadi, Nahid Ahmadi, Lamia Benbrahim-Tallaa, Wendy Bijoux, Shirisha Chittiboyina, Aline de Conti, Caterina Facchin, Federica Madia, Heidi Mattock, Mira Merdas, Elisa Pasqual, Eero Suonio, Susana Viegas, Ljubica Zupunski, Roland Wedekind*, Mary K Schubauer-Berigan*

*Co-auteurs principaux

Membres du Groupe de travail de la Monographie du CIRC

S Zahm (Etats-Unis)–Président de la réunion ; JP Bonde (Danemark) ; WA Chiu (Etats-Unis) ; J Hoppin (Etats-Unis) ; J Kanno (Japon)–Vice-Présidents de la réunion ; M Abdallah (Royaume-Uni) ; CR Blystone (Etats-Unis) ; MM Calkins (Etats-Unis) ; GH Dong (Chine) ; DC Dorman (Etats-Unis) ; R Fry (Etats-Unis) ; H Guo (Chine) ; LS Haug (Norvège) ; JN Hofmann (Etats-Unis) ; M Iwasaki (Japon) ; M Machala (République tchèque) ; FR Mancini (France) ; SS Maria-Engler (Brésil) ; P Møller (Danemark) ; JC Ng (Australie) ; M Pallardy (France) ; GB Post (Etats-Unis) ; S Salihovic (Suède) ; J Schlezinger (Etats-Unis) ; A Soshilov (Etats-Unis) ; K Steenland (Etats-Unis) ; I-L Steffensen (Norvège) ; V Tryndyak (Etats-Unis) ; A White (Etats-Unis) ; S Woskie (Etats-Unis)

Déclaration d’intérêts

Les membres du Groupe de travail déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Spécialistes invités

T Fletcher, London School of Hygiene & Tropical Medicine (Royaume-Uni)

Déclaration d’intérêts

TF déclare fournir un avis d’expert pour les plaignants dans les cas d’exposition au PFOA

Représentants

F Pouzaud, ANSES (France); A Winquist, (Etats-Unis)

Déclaration d’intérêts

Tous les représentants déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Observateurs

A Amadou, INSERM (France) ; V Thomas, Sciences Po Lyon (France) ; D Whu, Association internationale des pompiers (Etats-Unis)

Déclaration d’intérêts

DW déclare avoir reçu une aide de l’Association internationale des pompiers. Tous les observateurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Secrétariat du CIRC

A Ahmadi ; N Ahmadi ; L Benbrahim-Tallaa ; W Bijoux ; S Chittiboyina ; A de Conti ; C Facchin ; F Madia ; H Mattock ; M Merdas ; E Pasqual ; M K Schubauer-Berigan ; E Suonio ; S Viegas ; L Zupunski ; R Wedekind

Déclaration d’intérêts

Un proche parent de RW travaille pour Rowenta, une marque appartenant au Groupe SEB. Tous les autres membres du secrétariat déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Prochaines réunions

19–22 mars 2024 : Groupe consultatif chargé de recommander des priorités pour les Monographies du CIRC pour 2025-2029

11–18 juin 2024 : Volume 136 : Talc et acrylonitrile

5–12 novembre 2024 : Volume 137 : Hydrochlorothiazide, voriconazole et tacrolimus

 

Pour en savoir plus sur les Monographies du CIRC, voir : IARC Monographs on the Identification of Carcinogenic Hazards to Humans – INTERNATIONAL AGENCY FOR RESEARCH ON CANCER (who.int)

Pour le Préambule des Monographies du CIRC, voir : Preambule – Monographies du CIRC sur l’Identification des Dangers Cancérogènes pour l’Homme (who.int)

Pour les déclarations d’intérêts faites au CIRC, voir : Vol135-DOI.pdf (who.int)

Clause de non-responsabilité :

Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement les décisions, la politique ou les points de vue de leurs institutions respectives.

 

L’autorisation pour la traduction des documents « Questions et Réponses » et « Infographie » pour la Monographie Volume 135 – Cancérogénicité de l’acide perfluorooctanoïque (PFOA) et l’acide perfluorooctanesulfonique (PFOS) a été accordée en 2024 par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), qui reste le détenteur des droits d’auteur de la version originale. L’autorisation de traduction en français a été accordée par le détenteur des droits d’auteur au Centre Léon Bérard, qui détient les droits de la traduction et est seul responsable de celle-ci. Les conditions d’utilisation des contenus produits par le CIRC sont disponibles ici.

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Voir Infographie (Version française)

    Références

    1 International Agency for Research on Cancer. Volume 135: Perfluorooctanoic acid (PFOA)and perfluorooctanesulfonic acid (PFOS). Lyon, France; Nov 7–14, 2023. IARC Monogr Identif Carcinog Hazards Hum (sous presse).

    2 International Agency for Research on Cancer. Volume 110: Some chemicals used as solvents and in polymer manufacture. IARC Monogr Identif Carcinog Hazards Hum 2017; 110: 37–110.

    3 National Toxicology Program. NTP technical report on the toxicology and carcinogenesis studies of perfluorooctanoic acid (CASRN 335-67-1) administered in feed to Sprague Dawley (Hsd:Sprague Dawley® SD®) rats (revised). Research Triangle Park (NC): National Toxicology Program, 2023.

    4 Liu Y, Eliot MN, Papandonatos GD, et al. Gestational perfluoroalkyl substance exposure and DNA methylation at birth and 12 years of age: a longitudinal epigenome-wide association study. Environ 2022; 130: 7005.

    5 Wang J, Zhang Y, Zhang W, et al. Association of perfluorooctanoic acid with HDL cholesterol and circulating miR-26b and miR-199-3p in workers of a fluorochemical plant and nearby residents. Environ Sci Technol 2012; 46: 9274–81.

    6 Dalsager L, Christensen N, Halekoh U, et al. Exposure to perfluoroalkyl substances during fetal life and hospitalization for infectious disease in childhood: a study among 1,503 children from the Odense Child Cohort. Environ Int 2021; 149: 106395

    7 Grandjean P, Andersen EW, Budtz-Jørgensen E, et al. Serum vaccine antibody concentrations in children exposed to perfluorinated compounds. JAMA 2012; 307: 391–97.

    8 Shearer JJ, Callahan CL, Calafat AM, et al. Serum concentrations of per- and polyfluoroalkyl substances and risk of renal cell carcinoma. J Natl Cancer Inst 2021; 113: 580–87.

    9 Purdue MP, Rhee J, Denic-Roberts H, et al. A nested case-control study of serum per- and polyfluoroalkyl substances and testicular germ cell tumors among U.S. Air Force servicemen. Environ Health Perspect 2023; 131: 77007.

    10 Xu Y, Jurkovic-Mlakar S, Li Y, et al. Association between serum concentrations of perfluoroalkyl substances (PFAS) and expression of serum microRNAs in a cohort highly exposed to PFAS from drinking water. Environ Int 2020; 136: 105446.

    11 Butenhoff JL, Chang SC, Olsen GW, Thomford PJ. Chronic dietary toxicity and carcinogenicity study with potassium perfluorooctanesulfonate in Sprague Dawley rats. Toxicology 2012; 293: 1–15.

Relecture : Section des Monographies, CIRC ; Groupe Communication, CIRC

Mise à jour le 18 avri. 2024

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