Présentation
En octobre 2021, un Groupe de travail composé de 20 chercheurs de 12 pays différents s’est réuni par téléconférence à l’invitation du Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) pour finaliser leur évaluation de la cancérogénicité de cinq agents : 1,1,1-trichloroéthane, 1,2-diphénylhydrazine, diphénylamine, N-méthylolacrylamide et isophorone. Ces évaluations seront publiées dans le Volume 130 des Monographies du CIRC1.
Le 1,1,1-trichloroéthane a été classé comme « probablement cancérogène pour l’homme » (Groupe 2A) sur la base d’indications « limitées » de cancérogénicité chez l’homme et d’indications « suffisantes » chez les animaux de laboratoire. Tous les autres agents ont été classés comme « peut-être cancérogènes pour l’homme » (Groupe 2B) sur la base d’indications « suffisantes » de cancérogénicité chez les animaux de laboratoire.
Les indications de cancérogénicité chez les animaux de laboratoire étaient « suffisantes » car tous les agents, à l’exception du N-méthylolacrylamide, ont augmenté l’incidence des néoplasmes malins ou d’une combinaison appropriée de néoplasmes bénins et malins chez deux espèces. Le N-méthylolacrylamide a provoqué l’augmentation susmentionnée chez les deux sexes d’une seule espèce dans une étude de bonnes pratiques de laboratoire (BPL). Les indications concernant le cancer chez l’homme étaient « insuffisantes » pour les agents autres que le 1,1,1-trichloréthane car peu ou pas de données étaient disponibles. Pour tous les agents, les indications mécanistiques étaient « limitées ».
Le 1,1,1-trichloroéthane a été largement utilisé jusque dans les années 1990 comme solvant, dégraisseur de métaux, intermédiaire chimique et dans de nombreuses autres applications. Depuis l’adoption du Protocole de Montréal relatif aux substances qui appauvrissent la couche d’ozone, sa production et son utilisation ont diminué2 et il est maintenant surtout utilisé comme matière première chimique dans des systèmes fermés et pour des « utilisations essentielles » – par exemple, les appareils médicaux et la sécurité aérienne. Des utilisations non essentielles insuffisamment documentées peuvent avoir lieu dans des pays à revenu faible et intermédiaire.
L’association entre l’exposition professionnelle au 1,1,1-trichloroéthane et le risque de cancer a été étudiée dans 23 études de cohorte, cas-témoins nichées et cas-témoins. Le plus grand nombre d’études a évalué le risque de tumeurs malignes lymphatiques et hématopoïétiques ; moins d’études étaient disponibles pour d’autres cancers, notamment ceux du rein, de la vessie, du sein, du cerveau et du système nerveux.
Le Groupe de travail a conclu qu’il existait des indications « limitées » de cancérogénicité chez l’homme pour le myélome multiple. Certaines indications d’associations positives avec le 1,1,1-trichloroéthane ont été observées dans les trois études disponibles sur le myélome multiple. Des associations positives, mais statistiquement imprécises, avec l’exposition au 1,1,1-trichloroéthane ont été observées dans deux études de cohorte (l’une ne portant que sur les femmes) avec un petit nombre de cas exposés3,4. Une étude cas-témoins a rapporté une association positive entre l’exposition et le myélome multiple, avec un rapport de cote (OR) de 1,8 (IC 95 % : 1,1–2,9)5. L’association est restée d’une ampleur similaire dans une analyse de sensibilité évaluant les erreurs potentielles de classification de l’exposition. Des associations positives ont été observées dans la plupart des catégories de durée d’exposition et d’exposition cumulative, sans indication d’une tendance positive du risque. Dans l’ensemble, le Groupe de travail a conclu qu’une association causale entre l’exposition au 1,1,1-trichloroéthane et le myélome multiple était crédible. Cependant, compte tenu du petit nombre de participants exposés et de l’influence potentielle d’un biais de sélection et d’une mauvaise classification de l’exposition, le hasard et le biais n’ont pu être exclus avec une confiance raisonnable. Les indications pour les autres types de cancer étaient « insuffisantes » ; il y avait peu de résultats positifs et les études disponibles chez l’homme n’étaient pas suffisamment informatives pour permettre de tirer une conclusion sur une association causale.
Chez de multiples espèces, dont l’homme, le 1,1,1-trichloroéthane est absorbé et distribué dans le cerveau et le tissu adipeux, métabolisé par les enzymes du cytochrome P450 en trichloroéthanol et en acide trichloroacétique, et éliminé sous la forme du composé parent dans l’haleine ou de métabolites dans l’urine, ou les deux. Chez les rongeurs, le 1,1,1-trichloroéthane inhalé a provoqué des lymphomes spléniques et des carcinomes bronchioloalvéolaires chez les souris mâles ; des adénomes ou des carcinomes bronchioloalvéolaires (combinés) chez les souris femelles ; et des mésothéliomes péritonéaux chez les rats mâles6. Les indications mécanistiques dans différents systèmes expérimentaux, y compris les cellules humaines in vitro, étaient suggestives mais incohérentes pour la génotoxicité, et suggestives pour le stress oxydatif et d’autres caractéristiques clés des cancérogènes sur la base d’un petit ensemble d’études.
La 1,2-diphénylhydrazine était principalement utilisée comme intermédiaire dans la fabrication des colorants benzidine, qui a cessé au cours des dernières décennies aux Etats-Unis et dans l’Union européenne (UE), bien que la production puisse avoir lieu ailleurs. Elle est également utilisée comme intermédiaire dans la fabrication de médicaments. Les données d’exposition sont rares. La 1,2-diphénylhydrazine est absorbée et excrétée sous la forme du composé parent ou de métabolites, ou des deux, dans l’urine des rongeurs ; les indications quant à l’aniline ou la benzidine comme métabolites étaient suggestives mais non concluantes. Chez les souris, l’exposition par voie alimentaire à la 1,2-diphénylhydrazine a provoqué des carcinomes hépatocellulaires chez les femelles. Chez les rats, l’exposition par voie alimentaire à la 1,2-diphénylhydrazine a provoqué des carcinomes hépatocellulaires, des carcinomes épidermoïdes de la glande de Zymbal, des papillomes ou carcinomes épidermoïdes (combinés) du canal auditif, de la glande de Zymbal ou de la peau de l’oreille (combinés), et des phéochromocytomes adrénaliens bénins ou malins (combinés) chez les mâles ; et des adénocarcinomes mammaires chez les femelles7. Les indications mécanistiques dans les différents systèmes expérimentaux étaient suggestives mais incohérentes pour la génotoxicité, et il y avait une pénurie de données pour d’autres caractéristiques clés.
La diphénylamine est une substance chimique produite en grande quantité et un intermédiaire, utilisée dans les lubrifiants, les fluides hydrauliques et de travail des métaux, les teintures et les traitements textiles, ainsi que dans les produits agrochimiques pour prévenir l’échaudage des fruits. Cette dernière utilisation est interdite dans l’UE, mais se poursuit aux Etats-Unis et ailleurs. Les expositions professionnelles se produisent probablement pendant la synthèse et l’application agricole, et les expositions de la population se produisent par la consommation de fruits dans certains pays. Les données sur l’exposition sont rares. La diphénylamine est absorbée sous la forme du composé parent ou de métabolites, ou les deux, et excrétée dans l’urine de multiples espèces, dont l’homme. Après une exposition par voie alimentaire, la diphénylamine a provoqué des hémangiomes ou des hémangiosarcomes (combinés) du foie, de la rate et de tous les organes (combinés) chez les souris mâles ; des sarcomes histiocytaires utérins chez les souris femelles8 ; des hémangiosarcomes de la rate et de tous les organes (combinés), et des fibromes ou fibrosarcomes (combinés) du tissu sous-cutané chez les rats mâles ; et des adénocarcinomes utérins et leucémies à cellules mononucléaires de la rate chez les rats femelles9. Les indications mécanistiques dans différents systèmes expérimentaux, y compris les cellules humaines in vitro, étaient suggestives mais incohérentes pour la génotoxicité, et suggestives pour le stress oxydatif et d’autres caractéristiques clés des cancérogènes sur la base d’un petit ensemble d’études.
Le N-méthylolacrylamide est une substance chimique produite en grande quantité et un intermédiaire, utilisée pour les adhésifs, les mastics, les encres, les résines, les peintures, les matières plastiques et les finitions de papier et de textile. Les données sur l’exposition étaient rares. L’exposition documentée des travailleurs concernait l’utilisation de coulis pour maçonnerie contenant du N-méthylolacrylamide dans la construction de tunnels en Norvège et en Suède, et comme produit d’étanchéité dans la fabrication de fenêtres. Le N-méthylolacrylamide est distribué, conjugué au glutathion, et excrété sous la forme du composé parent ou de métabolites, ou les deux, dans l’urine et les fèces des souris. Les données sur la conversion en acrylamide ou en glycidamide étaient rares. Dans une étude de gavage BPL chez les souris, le N-méthylolacrylamide a provoqué des carcinomes bronchioloalvéolaires chez les mâles et les femelles, des carcinomes hépatocellulaires chez les mâles et des adénomes ou carcinomes de la glande de Harder (combinés) chez les femelles10. Les indications mécanistiques dans différents systèmes expérimentaux étaient suggestives mais incohérentes pour la génotoxicité, et suggestives pour d’autres caractéristiques clés sur la base d’un petit ensemble d’études.
L’isophorone est une substance chimique produite en grande quantité largement utilisée comme solvant et intermédiaire dans la fabrication de laques, de polymères, d’encres et de peintures, de produits agrochimiques, de finitions en nitrocellulose et de produits de nettoyage. L’isophorone a été détectée dans de nombreux produits à base de polymères, depuis les emballages alimentaires jusqu’aux structures gonflables aquatiques, ainsi que dans des produits alimentaires, probablement en raison d’une contamination agrochimique ou d’une migration à partir des emballages. Les données sur l’exposition étaient rares et provenaient principalement d’études historiques sur les sérigraphes. L’isophorone est absorbée et excrétée sous la forme du composé parent ou de métabolites, ou les deux, dans l’urine des rongeurs et des lapins. Administrée par gavage, l’isophorone a provoqué des fibrosarcomes du tissu sous-cutané, des tumeurs mésenchymateuses (fibromes, fibrosarcomes, neurofibrosarcomes ou sarcomes ; combinés) de la peau ou du tissu sous-cutané, des adénomes ou carcinomes hépatocellulaires (combinés) et des lymphomes malins du système hématopoïétique chez les souris mâles ; et des carcinomes de la glande préputiale et des adénomes ou adénocarcinomes à cellules tubulaires (combinés) du rein chez les rats mâles11. Les indications mécanistiques dans les différents systèmes expérimentaux étaient suggestives mais incohérentes pour la génotoxicité, et suggestives pour d’autres caractéristiques clés sur la base d’un petit ensemble d’études.
Nous déclarons n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Monographies du CIRC, Groupe de travail du Vol. 130
Centre international de Recherche sur le Cancer, Lyon, France
Lancet Oncol 2021
Article en anglais publié en ligne le 11 novembre 2021
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1470204521006598?via%3Dihub
Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir https://monographs.iarc.who.int/fr/
Prochaines réunions
8–15 mars 2022, Volume 131 : Cobalt métallique (sans carbure de tungstène ou autres alliages métalliques) et sels de cobalt (II), antimoine trivalent et antimoine pentavalent, et alliage de tungstène de qualité militaire (avec nickel et cobalt)
7–14 juin 2022 : Volume 132 : Exposition professionnelle en tant que pompier
Membres du Groupe de travail de la Monographie du CIRC
F Belpoggi (Italie) — Président de la réunion ; RC Cattley (Etats-Unis) ; B Reisfeld (Etats-Unis) ; P Stewart (Etats-Unis) ; MC Turner (Espagne) — Présidents de sous-groupes ; M Audebert (France) ; J Cox (Canada) ; C Ge (Pays-Bas) ; P Gustavsson (Suède) ; H Käfferlein (Allemagne) ; L Lash (Etats-Unis) ; A Lumen (Etats-Unis) ; M Matsumoto (Japon) ; MT Muñoz-Quezada (Chili) ; C Peters (Canada) ; M Purdue (Etats-Unis) ; C Svendsen (Norvège) ; A Virji (Etats-Unis) ; MG Yakubovskaya (Fédération de Russie) ; J Yiin (Etats-Unis)
Déclaration d’intérêts
Les membres du Groupe de travail déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Spécialistes invités
Aucun
Représentants
A Ben Amara, Agence nationale de contrôle sanitaire et environnemental des produits, Tunisie ;
S Charles, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, France
Déclaration d’intérêts
Les représentants déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Observateurs
A Batoon, pour LANXESS Corporation, Etats-Unis
Déclaration d’intérêts
A Batoon est employée par une société qui formule des produits avec de la diphénylamine.
Secrétariat du CIRC
L Benbrahim-Tallaa ; NL DeBono ; A de Conti ; F El Ghissassi ; S Goodman ; Y Grosse (Responsable) ; W Gwinn ; S Kühnle ; J Lavoué ; H Mattock ; DRS Middleton ; A Miranda-Filho ; FM Onyije ; MK Schubauer-Berigan ; E Suonio ; S Viegas ; R Wedekind
Déclaration d’intérêts
Les membres du Secrétariat déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Pour le Préambule des Monographies du CIRC, voir : https://monographs.iarc.who.int/wp-content/uploads/2019/07/Preamble-2019.pdf
Pour les déclarations d’intérêts faites au CIRC, voir : https://monographs.iarc.who.int/wp-content/uploads/2020/11/130-participants.pdf
Clause de non-responsabilité
Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement les décisions, la politique ou les points de vue de leurs institutions respectives.
L’autorisation pour la traduction des documents « Questions et Réponses » et « Infographie » pour la Monographie Volume 130 – Cancérogénicité du 1,1,1-trichloroéthane et de quatre autres produits chimiques industriels a été accordée en 2022 par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), qui reste le détenteur des droits d’auteur de la version originale. L’autorisation de traduction en français a été accordée par le détenteur des droits d’auteur au Centre Léon Bérard, qui détient les droits de la traduction et est seul responsable de celle-ci. Les conditions d’utilisation des contenus produits par le CIRC sont disponibles ici.
Lire Questions et Réponses (Q&R) (Version française)
Voir Infographie (Version française)