Présentation
En juin 2018, 14 experts de huit pays différents se sont réunis au Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) à Lyon (France), pour finaliser leur évaluation de la cancérogénicité de l’acrylate de méthyle, de l’acrylate d’éthyle, de l’acrylate de 2-éthylhexyle, du triacrylate de triméthylolpropane (TMPTA), du nitrite d’isobutyle et de la β-picoline. Ces évaluations seront publiées dans le volume 122 des Monographies du CIRC1 .
L’acrylate de méthyle, l’acrylate d’éthyle, l’acrylate de 2-éthylhexyle, le TMPTA de qualité technique et le nitrite d’isobutyle ont été classés comme « peut-être cancérogènes pour l’homme » (groupe 2B), sur la base d’indications suffisantes de cancérogénicité chez l’animal de laboratoire, et d’absence de données ou d’indications insuffisantes chez l’homme. La β-picoline a été évaluée comme étant « inclassable quant à sa cancérogénicité pour l’homme » (groupe 3) sur la base d’indications limitées de cancérogénicité chez l’animal de laboratoire et d’absence de données chez l’homme.
Les quatre acrylates évalués sont des produits chimiques à haut volume de production, produits dans le monde entier. L’acrylate de méthyle est utilisé dans la production de fibres acryliques et de tissus retardateurs de flammes. Il est également utilisé pour produire des revêtements, des adhésifs, des prothèses et comme intermédiaire dans la synthèse d’autres composés. L’exposition humaine se produit principalement par inhalation et par contact cutané au cours de la production et de l’utilisation comme intermédiaire. Chez l’homme, le développement d’une dermatite de contact allergique a été signalé. Chez les rongeurs, l’acrylate de méthyle est facilement absorbé, largement distribué, métabolisé par hydrolyse par les carboxylestérases en acide acrylique et méthanol, et excrété principalement sous forme de CO2 dans l’air expiré et sous forme de conjugués d’acide mercapturique dans l’urine. Dans une étude par inhalation chez le rat2, l’acrylate de méthyle augmentait l’incidence des sarcomes des tissus mous et des leucémies, des lymphomes ou lymphosarcomes (combinés) chez les rats mâles et des adénomes de l’hypophyse chez les rats femelles. Dans une autre étude par inhalation3, l’acrylate de méthyle provoquait des carcinomes à cellules squameuses de la cavité nasale chez les rats mâles et femelles, et des phéochromocytomes de la glande surrénale (tumeurs bénignes et malignes combinées) chez les rats femelles. Les données sur les mécanismes du cancer étaient rares.
L’acrylate d’éthyle est utilisé pour produire des polymères pour les peintures à base aqueuse, les résines, les plastiques et le caoutchouc synthétique. C’est l’un des principaux monomères utilisés dans le monde entier pour la fabrication de polymères à base de styrène, utilisés pour les articles médicaux et dentaires. L’acrylate d’éthyle est également utilisé dans les revêtements de surface pour les textiles, le papier, le cuir et les matériaux en contact alimentaire, ainsi qu’en tant qu’arôme alimentaire. L’exposition professionnelle peut se produire chez les travailleurs dans la fabrication de produits chimiques et de peinture, les travailleurs de salons de manucure et les techniciens dentaires. L’exposition de la population générale se produit par l’intermédiaire des aliments et des matériaux contenant de l’acrylate d’éthyle. Un petit nombre d’études épidémiologiques en milieu professionnel comportant une évaluation de l’exposition non spécifique ont fourni des indications insuffisantes pour l’évaluation de la cancérogénicité chez l’homme. Le développement de dermatites de contact allergique a été décrit chez l’homme. Chez les rats, l’acrylate d’éthyle est rapidement absorbé, largement distribué, et massivement métabolisé par les carboxylestérases pour produire de l’acide acrylique et de l’éthanol, puis du CO2. La liaison covalente au glutathion et aux protéines a été démontrée. Chez les souris et les rats, l’exposition à l’acrylate d’éthyle par gavage augmentait l’incidence des papillomes et des carcinomes des cellules squameuses du pré-estomac4,5. Bien que les agents qui produisent exclusivement des tumeurs dans le pré-estomac après un traitement prolongé par des mécanismes non réactifs à l’ADN puissent être moins pertinents pour l’homme6, l’acrylate d’éthyle augmentait également l’incidence des adénomes folliculaires thyroïdiens chez les souris mâles et des adénomes ou carcinomes folliculaires thyroïdiens chez les rats mâles exposés par inhalation7. De plus, l’acrylate d’éthyle a donné des résultats positifs dans certains essais de génotoxicité in vivo et in vitro sur des rongeurs, mais dans l’ensemble, les résultats étaient équivoques en raison d’incohérences et d’un manque de reproductibilité. L’acrylate d’éthyle induisait une inflammation chronique et altérait la prolifération cellulaire, la mort cellulaire ou l’apport en nutriments, induisant une hyperplasie et une inflammation dans le pré-estomac des rats et des souris lorsqu’il était administré par gavage pendant 2 ans4.
L’acrylate de 2-éthylhexyle est utilisé comme co-monomère plastifiant dans la production de résines pour les adhésifs sensibles à la pression, les peintures au latex, les diluants réactifs ou agents de réticulation, les finitions textiles et cuir et les revêtements pour papier. L’exposition professionnelle se produit pendant le processus de fabrication. Le développement d’une dermatite de contact allergique après exposition à l’acrylate de 2-éthylhexyle dans les ongles artificiels a été décrit. Chez les rats, l’acrylate de 2-éthylhexyle est facilement absorbé, largement distribué et excrété principalement sous forme de CO2 dans l’air expiré et sous forme de conjugués d’acide mercapturique dans l’urine. L’acrylate de 2-éthylhexyle subit un métabolisme catalysé par la carboxylestérase et une conjugaison avec le glutathion. Dans des études cutanées de souris mâles8,9, l’acrylate de 2-éthylhexyle augmentait l’incidence des papillomes à cellules squameuses, des papillomes ou carcinomes à cellules squameuses (combinés), des carcinomes à cellules squameuses kératinisées, des mélanomes malins et des fibrosarcomes. Dans l’ensemble, les données mécanistiques étaient rares, avec des résultats négatifs pour la génotoxicité dans les études disponibles.
Le TMPTA est disponible comme produit de qualité technique d’une pureté de 70 % à 90 % qui contient des produits de réaction incomplets. Il est principalement utilisé pour produire des encres à séchage ultraviolets, additifs de peinture, revêtements et adhésifs. L’exposition professionnelle se produit pendant la fabrication ou l’utilisation du TMPTA.
L’exposition de la population générale peut se produire par l’utilisation de produits de consommation (par exemple des peintures au latex), de meubles et de vernis pour planchers contenant du TMPTA. Dans les études sur la peau de rongeur, le TMPTA de qualité technique augmentait l’incidence des carcinomes hépatocellulaires, des hépatoblastomes, des hépatocholangiocarcinomes, des polypes stromals utérins et des polypes stromals utérins ou sarcomes stromals utérins (combinés) chez les souris femelles, et des mésothéliomes malins de la tunique vaginale chez les rats mâles10.
Dans une étude sur la peau de souris transgéniques11, le TMPTA a causé des papillomes à cellules squameuses de la peau chez les souris mâles et femelles, et des papillomes à cellules squameuses du pré-estomac chez les souris femelles. Chez les rats, l’excrétion urinaire est la principale voie d’élimination, suivie de l’expiration du CO2, alors que les deux voies se produisent dans la même mesure chez les souris. Une hyperplasie cutanée dans plusieurs types de cellules a été observée chez des rongeurs exposés de façon chronique. Peu d’autres données mécanistiques étaient disponibles.
La principale source d’exposition humaine au nitrite d’isobutyle est une drogue récréative. Le nitrite d’isobutyle est également utilisé comme intermédiaire dans la synthèse de solvants et de carburants. Une méthémoglobinémie et une vasodilatation sont observées chez l’homme exposé au nitrite d’isobutyle, démontrant l’absorption. Chez les rongeurs, le nitrite d’isobutyle est rapidement métabolisé en nitrite et en alcool isobutylique. L’oxyde nitrique a été identifié dans l’air expiré par des lapins exposés. Les résultats des tests de génotoxicité étaient généralement positifs, mais peu d’études étaient disponibles. La suppression dose-dépendante de la production d’anticorps spécifiques de l’antigène a été démontrée dans de multiples études chez les souris12. Dans les études par inhalation chez les rongeurs13, le nitrite d’isobutyle augmentait l’incidence des adénomes et des carcinomes bronchioloalvéolaires chez les rats mâles, des adénomes ou carcinomes bronchioloalvéolaires (combinés) chez les souris mâles et femelles et les rats femelles, et des adénomes ou carcinomes folliculaires thyroïdiens (combinés) chez les souris mâles.
La β-picoline, une méthylpyridine, est largement utilisée comme matière première pour les pesticides (par exemple le chlorpyrifos) et les produits pharmaceutiques (par exemple la vitamine B3). Elle est également utilisée comme solvant et intermédiaire dans les accélérateurs de caoutchouc, les agents imperméabilisants, les colorants et les résines, et comme substance aromatique dans les aliments et les boissons. L’exposition professionnelle se produit principalement par inhalation ou par contact cutané au cours de sa production et de son utilisation. La β-picoline est rejetée dans l’environnement par les eaux usées industrielles et la fumée de cigarette; elle est également présente naturellement à de faibles concentrations dans la bière, le café et le whisky. La population générale peut aussi être exposée par l’utilisation de produits contenant de la β-picoline. Chez les rongeurs, la β-picoline est facilement absorbée et métabolisée par oxydation médiée par le cytochrome P450, mais les données sur les mécanismes du cancer étaient rares. Administrée dans l’eau potable, la β-picoline augmentait l’incidence des carcinomes hépatocellulaires, des carcinomes ou hépatoblastomes hépatocellulaires (combinés) et des adénomes ou carcinomes bronchioloalvéolaires (combinés) chez les souris femelles et des adénomes bronchioloalvéolaires chez les souris mâles et les rats femelles14.
Nous déclarons ne pas avoir de conflits d’intérêts.
Hans Kromhout, Melissa Friesen, Mathilde Marques, Consolato Maria Sergi, Mohamed Abdallah, Geza Benke, Mark Cesta, Dori Germolec, Keith Houck, Gaku Ichihara, Charles William Jameson, Jun Kanno, Igor Pogribny, Camilla Svendsen, Lamia Benbrahim-Tallaa, Kathryn Z Guyton, Yann Grosse, Fatiha El Ghissassi, Véronique Bouvard, Amy Hall, Corentin Jaillet, Heidi Mattock, Kurt Straif, pour le Groupe de Travail des Monographies du Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), Lyon (France).
Article en anglais publié en ligne le 28 juin 2018
http://dx.doi.org/10.1016/S1470-2045(18)30491-1
Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir : http://monographs.iarc.fr/
Prochaines réunions
9–16 octobre 2018, Volume 123 : Certains nitrobenzènes et autres produits chimiques industriels.
12–14 novembre 2018, Groupe consultatif pour recommander une mise à jour du préambule.
25–27 mars 2019, Groupe consultatif pour recommander des priorités pour les Monographies du CIRC pour la période 2020–2024.
Membres du Groupe de Travail de la Monographie
H Kromhout (Pays-Bas) — Président de la réunion ; G Benke (Australie) ; C M Sergi (Canada) ; G Ichihara ; J Kanno (Japon) ; C Svendsen (Norvège) ; M Marques (Portugal) ; M Abdallah (Royaume-Uni) ; M Cesta, M Friesen, D Germolec, K Houck, C W Jameson, I Pogribny (Etats-Unis)
Déclaration d’intérêts
Tous les membres du Groupe de Travail déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Spécialistes invités
Aucun
Représentants
S Charles, E Pasquier, pour l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), France
Déclaration d’intérêts
Tous les Représentants déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Observateurs
R G Ellis-Hutchings, pour le Basic Acrylic Monomer Manufacturers, Etats-Unis ;
L Finch, pour Arkema, Etats-Unis ;
K Wiench, pour le European Chemicals Industry Council, Belgique
Déclaration d’intérêts
R G Ellis-Hutchings est actuellement employé et détient des actions de la Dow Chemical Company.
L Finch est employé par Arkema.
K Wiench est actuellement employé et détient des actions de BASF, Allemagne.
Secrétariat du CIRC
L Benbrahim-Tallaa ; V Bouvard ; F El Ghissassi ; Y Grosse ; K Z Guyton ; A Hall ; C Jaillet ; H Mattock ; K Straif
Déclaration d’intérêts
Tous les membres du Secrétariat déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Pour le Préambule aux Monographies, lire :
http://monographs.iarc.fr/ENG/Preamble/index.php
Pour les conflits d’intérêts, lire :
http://monographs.iarc.fr/ENG/Meetings/vol121-participants.pdf