Vol. 118 : Cancérogénicité du soudage, du trioxyde de molybdène et de l'oxyde d'indium-étain

Présentation

En mars 2017, 17 scientifiques de 10 pays différents se sont réunis au Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC ; Lyon, France) pour évaluer la cancérogénicité du soudage, du trioxyde de molybdène et de l’oxyde d’indium-étain. Ces évaluations seront publiées dans le volume 118 des Monographies du CIRC1.

Le nombre de travailleurs exerçant le métier de soudeur est estimé à 11 millions à travers le monde, et environ 110 millions de personnes supplémentaires sont probablement exposés aux activités liées au soudage. Le soudage peut entrainer l’exposition de ces travailleurs aux fumées, gaz, radiations (rayonnement ultra-violet (UV) et champs électromagnétiques) et à une co-exposition à l’amiante et aux solvants. Le soudage implique plusieurs procédés (par exemple, le soudage au gaz (oxygaz), le soudage à l’arc, le soudage par résistance) et matériaux (par exemple, l’acier doux et l’acier inoxydable). Le procédé, le matériel de soudage, la ventilation, le degré de confinement et l’utilisation de protection individuelle sont des facteurs déterminants pour l’exposition

La cancérogénicité des fumées de soudage a été évaluée par le CIRC en 19892 et classée comme « peut-être cancérogène pour l’Homme » (Groupe 2B), sur la base d’ « indications limitées chez l’Homme » et d’« indications insuffisantes chez l’animal de laboratoire». Les rayons UV avaient  été classés dans le Groupe 1 dans le Volume 100D des Monographies du CIRC. Depuis, de nouvelles indications substantielles ont été compilées à partir d’études observationnelles et expérimentales3. Dans la présente évaluation, les fumées de soudage et les rayons UV provenant du soudage ont été classées comme « cancérogènes pour l’Homme » (Groupe 1).

Le soudage à l’arc génère des rayons UV, facteur de risque pour le mélanome oculaire, cancer considéré comme rare. Des troubles oculaires variés (par exemple, cataractes ou kératoconjonctivites) surviennent chez les soudeurs et les travailleurs à proximité immédiate. Des indications suffisantes sur la cancérogénicité des rayons UV émis par le soudage étaient fournies par huit études cas-témoins et deux études de cohortes basées sur le recensement de cas de mélanome oculaire. La plupart des études cas-témoins ont montré des associations positives, avec un risque de développement de mélanome oculaire, augmenté de deux à dix fois. Deux études sur trois ayant évalué le risque par temps de travail d’un soudeur ont montré des tendances positives. Ces études ont aussi montré un risque de mélanome oculaire associé aux brûlures oculaires – une indication significative d’une exposition aux UV. Une autre étude a rapporté une association positive entre cette indication et une exposition professionnelle cumulée aux rayons UV, incluant le soudage.3Les risques persistaient après ajustement et prise en compte de l’exposition solaire, de l’utilisation de cabines de bronzage, ou les deux.4

Les fumées de soudage sont produites lorsque les métaux, chauffés au-delà de leur point de fusion se vaporisent et se condensent en fines particules (majoritairement <1 µm). La plupart des études, incluant plus de 20 études cas-témoin et environ 30 études de cohortes en population générale ou professionnelle, ont rapporté une augmentation du risque de cancer du poumon chez les soudeurs ou chez les travailleurs exposés aux fumées de soudage. Les associations entre des expositions cumulées, de plus longue durée ou majorées, aux fumées de soudage ont également été établies dans plusieurs études, certaines d’entre elles avec un large échantillonnage et de grande qualité.7 L’exposition aux fumées a été évaluée indirectement en s’appuyant sur le procédé ou le matériel de soudage, le secteur industriel, le poste occupé, l’évaluation d’experts ou des déclarations des travailleurs.

L’exposition à l’amiante et le tabagisme, des facteurs de confusion potentiels importants, ne pouvaient pas expliquer l’excès de risque observé pour le cancer du poumon chez les soudeurs. Les associations positives persistaient après ajustement direct ou indirect pour le tabagisme, co-exposition à l’amiante, ou les deux ;7limitant aux non-fumeurs ou aux fumeurs de faible niveau ; 11 et dans les cohortes avec une exposition faible ou minimale à l’amiante 12.

Des associations positives entre la profession de soudeur et le cancer du rein ont été rapportées dans presque toutes les études de cohorte et cas-témoins de qualité. Cependant, seuls les résultats de quelques études ont été ajustés pour les solvants utilisés pour le nettoyage des métaux en parallèle avec le soudage, comme le trichloroéthylène (un facteur de risque du cancer du rein). Une augmentation des risques a été établie à travers les pays, les paramétrages professionnels, et les protocoles d’étude. Cependant, le hasard, les biais et les facteurs de confusion ne pouvaient pas être écartés car certains des résultats n’étaient pas statistiquement significatifs, plusieurs études n’avaient que quelques cas exposés, et il y avait peu d’indications d’une relation exposition -réponse.

Pour les autres cancers, les indications de cancérogénicité étaient insuffisantes compte tenu des résultats contradictoires des études, du nombre insuffisant d’études, ou de la probabilité de facteurs de confusion ou de biais. Le Groupe de Travail a conclu à des « indications suffisantes chez l’Homme » pour le lien entre l’exposition aux fumées de soudage et le cancer des poumons, et à des indications limitées pour le cancer du rein.

Il existe des indications limitées chez l’animal de laboratoire sur la cancérogénicité des fumées de soudage à l’arc de l’acier inoxydable. Dans une étude d’aspiration oropharyngée et une étude d’inhalation chez les souris mâles A/J, les fumées de soudage à l’arc de l’acier inoxydable ont été les promoteurs de tumeurs pulmonaires induites par le 3-méthylcholanthrène.13

L’absorption et l’excrétion de métaux (chrome, nickel, et manganèse) ont été montrées chez les personnes exposées aux fumées de soudage, mais les données  sur le dépôt de particules et la clairance chez les soudeurs étaient rares. De fortes indications suggèrent que les fumées de soudage induisent une inflammation chronique et sont immunosuppressives. Les biomarqueurs d’inflammation pulmonaire et systémique sont en augmentation dans un grand nombre d’études sur diverses fumées de soudage à l’arc (études d’échantillonnage et études de cohorte).15 Le risque d’infection (pneumonie) est augmenté dans les études épidémiologiques aux protocoles différents. Chez les rongeurs, les fumées de soudage conduisaient à une inflammation pulmonaire chronique et, dans quelques études, à une dégradation de l’infection pulmonaire.

Le trioxyde de molybdène (MoO3) est rarement naturellement présent dans l’environnement. Cependant, il est classé comme « High Production Volume chemical » (produit industriellement en grande quantité). Avec plus de 100 000 tonnes de MoO3 produits annuellement, la majorité est utilisée dans la production de fer ;  il est aussi utilisé comme biocide et, de plus en plus en technologie photovoltaïque. Les expositions environnementales au MoO3 sont négligeables, mais les travailleurs peuvent être exposés – majoritairement dans les exploitations minières et la métallurgie, les fonderies d’acier, le soudage, et dans les autres procédés à haute température utilisant l’acier. Aucune donnée épidémiologique n’était publiée mais quelques données toxicocinétiques et mécanistiques étaient disponibles pour le MoO3. Dans une étude d’inhalation chez la souris, le MoO3 augmentait l’incidence des carcinomes broncho-alvéolaires chez les souris mâles et les adénomes et les carcinomes broncho-alvéolaires (combinés) chez les souris femelles, et entrainait une tendance  positive de l’incidence des carcinomes broncho-alvéolaires chez les souris femelles.16 Le trioxyde de molybdène a été classé comme « peut-être cancérogène pour l’Homme » (Groupe 2B) sur la base d’indications suffisantes chez l’animal de laboratoire.

L’oxyde d’indium-étain (ITO) n’existe pas naturellement dans l’environnement ; C’C’est un mélange d’oxyde d’indium (In2O3) et d’oxyde d’étain dont la production industrielle est faible. Il est principalement utilisé dans les procédés de production de films conducteurs transparents sur verre ou panneaux en matière plastique pour les appareils électroniques. L’exposition à l’ITO a lieu principalement en milieu professionnel pendant la production et la transformation de l’ITO, ou le recyclage de l’indium élémentaire. L’indium a été détecté chez des travailleurs exposés, mais les données toxicocinétiques pour l’ITO sont rares. Les études à long terme chez les rats, les souris et les hamsters ont fourni de fortes indications en faveur de l’induction d’une inflammation chronique. Dans des études d’inhalation sur une période de 2 ans, l’ITO augmentait les incidences de carcinomes broncho-alvéolaires chez les rats mâles et femelles, et entrainait une tendance positive de  l’incidence des adénomes et des carcinomes broncho-alvéolaires (combinés) chez les souris femelles.17 L’oxyde d’indium-étain a été classé comme « peut-être cancérogène pour l’Homme » (Groupe 2B) sur la base d’indications suffisantes chez l’animal de laboratoire.

Nous déclarons ne pas avoir de conflits d’intérêts.

Neela Guha, Dana Loomis, Kathryn Z Guyton, Yann Grosse, Fatiha El Ghissassi, Véronique Bouvard, Lamia Benbrahim-Tallaa, Nadia Vilahur, Karen Muller, Kurt Straif, pour le Groupe de Travail des Monographies du Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), Lyon, France.

Articles disponible en anglais

Guha N, Loomis D, Guyton KZ, Grosse Y, El Ghissassi F, Bouvard V, et al. Carcinogenicity of welding, molybdenum trioxide, and indium tin oxide. The Lancet Oncology. 2017 May;18(5):581–2 : http://dx.doi.org/10.1016/S1470-2045(17)30255-3

Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir : http://monographs.iarc.fr

Prochaines réunions

6-13 juin 2017, Volume 119 : Certains produits chimiques dans les produits alimentaires et de consommation

10–17 oct 2017, Volume 120 : Benzène

Membres du Groupe de Travail de la Monographie

J Hansen (Denmark)— Président de la réunion; A K Nersesyan (Austria); J Lavoué (Canada); D Luce (France); W Ahrens (Germany); S Fukushima (Japan); H Kromhout, S Peters (Netherlands); A ‘t Mannetje (New Zealand); M Albin (Sweden); M G Baker, D C Christiani, J M Fritz, W M Gwinn, R M Lunn, E J Tokar, P C Zeidler-Erdely (USA)

Déclaration d’intérêts

SP déclare que sa dernière unité de recherche à l’université de l’Australie Occidentale a reçu une subvention de recherche (terminé en Juillet 2014) provenant de WesTrac Ltd (Australie Occidentale, Asutralie) – fournisseur d’équipement de construction – pour rechercher les effets sanitaires adverses de l’exposition environnementale à l’amiante. Les autres membres du Groupe de Travail déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Spécialistes invités

Aucun

Représentants

Y Chen, pour l’exécutif Santé et Sécurité (HSE), UK; P Guillou, pour l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), France; F Pega, pour l’OMS, Genève, Suisse; A Ullrich, pour l’OMS, Genève, Suisse.

Déclaration d’intérêts

Tous les représentants and membres de l’Organisation Mondiale de la Santé déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Observateurs

A Hall, pour l’université de for British Columbia, Canada; S Hubbard, pour l’association internationale Molybdenum (IMOA); L Levy, pour l’association internationale Molybdenum (IMOA); A Oller, for Eurometaux, Belgium; V Thomas, pour l’université Paris Dauphine, France; W Zschiesche, pour l’institut de Prévention et de Médecine du Travail de l’assurance Social Accident germanique, Allemagne.

Déclaration d’intérêts

SH est un consultant de l’association internationale Molybdenum (IMOA). Récemment employé de RioTinto Ltd (jusqu’à la fin de l’année 2015), il a reçu un financement IMAO pour venir à la réunion du CIRC. LL fournit son expertise consulting en toxicology santé professionnel à IMAO. AO est employé par NiPERA Inc. Les autres observateurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Secrétariat du CIRC

L Benbrahim-Tallaa; V Bouvard; R Carel; F El Ghissassi; Y Grosse; N Guha; KZ Guyton; D Hashim; MK Honaryar; R Khlifi; D Loomis; K Muller; L Stayner; K Straif; N Vilahur

Déclaration d’intérêts

L’ensemble des membres du Secrétariat déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Pour le Préambule aux Monographies, lire :

http://monographs.iarc.fr/ENG/Preamble/index.php

Pour les conflits d’intérêts, lirehttp://monographs.iarc.fr/ENG/Meetings/vol118-participants.pdf

Publié en ligne le 10 avril 2017 http://dx.doi.org/10.1016/S1470-2045(17)30255-3

Plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir http://monographs.iarc.fr/

Traduit de l’anglais par le Département Cancer Environnement

    Références

    1. International Agency for Research on Cancer. Volume 118: welding, indium tin oxide, molybdenum trioxide. IARC Working Group. Lyon, France; 21–28 March, 2017. IARC Monogr Eval Carcinog Risks Hum (in press).

    2. International Agency for Research on Cancer. Chromium, nickel and welding. IARC Monogr Eval Carcinog Risks Hum 1990; 49: 1–648.

    3. Vajdic CM, Kricker A, Giblin M, et al. Artificial ultraviolet radiation and ocular melanoma in Australia. Int J Cancer 2004; 112: 896–900.

    4. Guenel P, Laforest L, Cyr D, et al. Occupational risk factors, ultraviolet radiation, and ocular melanoma: a case-control study in France. Cancer Causes Control 2001; 12: 451–59.

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    17. Nagano K, Nishizawa T, Umeda Y, et al. Inhalation carcinogenicity and chronic toxicity of indium-tin oxide in rats and mice. J Occup Health 2011; 53: 175–87.

Auteur : Département Prévention Cancer Environnement, Centre Léon Bérard

Relecture : Section des Monographies du CIRC ; Groupe Communication du CIRC.

Mise à jour le 08 juil. 2022

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