Vol. 119 : Certains produits chimiques provoquant des tumeurs des voies urinaires chez les rongeurs

Présentation

En juin 2017, 21 chercheurs venus de neuf pays se sont réunis au Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) à Lyon (France) pour finaliser leur analyse critique et l’évaluation de la cancérogénicité de la mélamine, du 1-tert-butoxypropane-2-ol, du β-myrcène, de l’alcool furfurylique, de la pyridine, du tétrahydrofurane et du chlorure de vinylidène. Ces évaluations seront publiées dans le volume 119 des Monographies du CIRC1.

Les sept produits chimiques ont tous été classés comme « peut-être cancérogènes pour l’homme » (Groupe 2B), en raison « d’indications suffisantes de cancérogénicité chez l’animal de laboratoire » et « d’indications insuffisantes » ou d’absence de données chez l’homme. Tous les composés montraient une absence de bioactivité lors d’essais de criblage à haut débit. Quatre produits chimiques (1-tert-butoxypropane-2-ol, β-myrcène, pyridine et tétrahydrofurane) augmentaient la α2u-globuline rénale chez les rats mâles, mais aucun d’entre eux ne satisfaisait entièrement aux sept critères du CIRC2 pour une réponse tumorigène associée à la α2u-globuline.

La mélamine est un produit chimique à haut volume de production qui est principalement utilisé pour la fabrication de matières plastiques spécifiques, notamment des revêtements, des filtres, des adhésifs et des ustensiles de cuisine. L’exposition professionnelle à la mélamine peut se produire par inhalation de poussière de mélamine pendant la production et l’utilisation dans la fabrication de produits dérivés. L’exposition de la population générale peut provenir de la migration des matériaux en contact avec les aliments. La mélamine a été utilisée illégalement pour falsifier des produits alimentaires et des aliments pour animaux : des enfants chinois exposés en 2008 à des préparations lactées infantiles frelatées ont été exposés à une consommation moyenne estimée à 10 à 30 mg/kg de poids corporel par jour.

Une étude de cohorte professionnelle aux Etats-Unis et une étude de suivi d’enfants chinois traités pour des calculs urinaires ont été jugées insuffisantes pour l’évaluation de la cancérogénicité de la mélamine chez l’homme. Dans trois études d’alimentation35 chez le rat, la mélamine provoquait des carcinomes papillaires transitionnels de la vessie chez les rats mâles. Dans une étude d’alimentation6 chez la souris, la mélamine augmentait l’incidence de dysplasies ou de carcinomes in situ (combinés) de la vessie et de l’uretère. La mélamine est rapidement absorbée et largement distribuée. Les bactéries, y compris certaines présentes dans l’intestin de l’homme, métabolisent la mélamine en acide cyanurique et en urée. La mélamine n’est pas génotoxique, mais elle est néphrotoxique pour de nombreuses espèces. Des calculs et inflammations des voies urinaires se sont produits chez les humains et les rongeurs exposés à des niveaux élevés.

Chez les nourrissons exposés, des calculs constitués principalement de mélamine et d’acide urique dans les reins, l’uretère et la vessie7 ainsi qu’une inflammation rénale8 ont été observés. Dans les essais biologiques à long terme, des rats et des souris développaient une inflammation des voies urinaires. Les rats mâles développaient des calculs composés principalement de mélamine et d’acide urique dans la vessie, et l’incidence de ces calculs était corrélée à l’apparition de carcinomes5. Dans une étude d’alimentation3,9 chez la souris, les mâles ont développé des calculs et des hyperplasies épithéliales de la vessie.

Le 1-tert-butoxypropane-2-ol est un solvant utilisé comme substitut à d’autres éthers de glycol et dans les nettoyants à usages multiples, les revêtements, les encres, vernis, peintures au latex et adhésifs. Dans des études par inhalation10, le 1-tert-butoxypropane-2-ol augmentait l’incidence d’adénomes ou de carcinomes hépatocellulaires (combinés) chez les souris mâles et femelles, d’hépatoblastomes chez les souris mâles et provoquait de rares tumeurs des tubules rénaux chez les rats mâles. Chez les rats, le 1-tert-butoxypropane-2-ol est massivement absorbé, largement distribué, rapidement éliminé, et il est excrété dans les urines sous forme de glucuronide et de sulfate conjugués. Il induit une néphropathie chronique chez les rats10.

Le β-myrcène se retrouve dans une grande variété de plantes. Utilisé principalement comme matière première dans la fabrication de produits chimiques tels que le menthol, le β-myrcène est également une substance parfumante et aromatisante. Dans des études de gavage11, le β-myrcène augmentait l’incidence de carcinomes hépatocellulaire et d’hépatoblastomes chez les souris mâles, d’adénomes ou de carcinomes hépatocellulaires (combinés) chez les souris femelles, d’adénomes ou de carcinomes des tubules rénaux (combinés) chez les rats mâles, et provoquait de rares adénomes des tubules rénaux chez les rats femelles. Le β-myrcène est bien absorbé chez les rats et les lapins, et les métabolites conjugués sont excrétés dans les urines. Le β-myrcène n’est pas génotoxique.

L’alcool furfurylique est un produit chimique à haut volume de production ayant des applications industrielles, dont la production de résines furaniques et d’agents mouillants, et en tant que solvant. L’exposition professionnelle peut se produire par inhalation et par contact cutané. L’alcool furfurylique peut se former dans le café et les aliments pendant la torréfaction, la cuisson ou la friture. Dans des études par inhalation12, l’alcool furfurylique augmentait l’incidence d’adénomes ou de carcinomes des tubules rénaux (combinés) chez les souris mâles, induisait des carcinomes des cellules squameuses de l’épithélium respiratoire nasal, augmentait l’incidence d’adénomes, de carcinomes ou de carcinomes des cellules squameuses (combinés) de l’épithélium respiratoire nasal chez les rats mâles. L’alcool furfurylique est bien absorbé. De fortes indications suggèrent que l’alcool furfurylique est métaboliquement activé par sulfoconjugaison en 2-sulfoxyméthylfurane électrophile. Des adduits à l’ADN spécifiques de l’alcool furfurylique ont été retrouvés dans des tissus non tumoraux de patients atteints d’un cancer du poumon13, chez des souris et chez des bactéries exprimant la sulfotransférase humaine.

La pyridine est un produit chimique à haut volume de production utilisé comme solvant ou intermédiaire dans la fabrication de pesticides, de vitamines et de médicaments, de colorants, d’hydrofuges pour textiles et d’agents aromatisants. L’exposition professionnelle peut se produire par inhalation et par contact cutané. Pour la population générale, la fumée de cigarette et l’alimentation sont les principales sources d’exposition. Dans des études via l’eau de boisson14, la pyridine augmentait l’incidence de carcinomes hépatocellulaires et d’hépatoblastomes chez les souris mâles et femelles, d’adénomes ou de carcinomes des tubules rénaux (combinés) chez les rats mâles, et de leucémies à cellules mononucléées chez les rats femelles. La pyridine est absorbée et métabolisée par le cytochrome P450 (CYP) 2E1, principalement en N-oxyde de pyridine.

Le tétrahydrofurane est un produit chimique à haut volume de production utilisé comme solvant dans un grand nombre de plastiques, colorants, élastomères et colles. Il est également utilisé dans la synthèse des carburants et dans la fabrication de produits pharmaceutiques, de parfums synthétiques, de composés organométalliques et d’insecticides. Les travailleurs peuvent être exposés par inhalation et par contact cutané. La population générale pourrait être exposée par l’utilisation de produits ménagers contenant du tétrahydrofurane. Dans des études par inhalation15, le tétrahydrofurane augmentait l’incidence d’adénomes ou de carcinomes hépatocellulaires (combinés) et de carcinomes hépatocellulaires chez les souris femelles, et induisait des adénomes ou carcinomes des tubules rénaux (combinés) chez les rats mâles. Après absorption, le tétrahydrofurane est oxydé par les CYP puis hydrolysé par la paraoxonase 1.

Le chlorure de vinylidène est un produit chimique à haut volume de production qui est principalement utilisé dans la production de copolymères de chlorure de polyvinylidène pour la fabrication de films destinés à l’emballage des aliments, où il pourrait persister sous forme de résidu non intentionnel et potentiellement migrer dans les aliments. Dans une étude par inhalation16 chez la souris, le chlorure de vinylidène induisait des adénomes ou carcinomes des tubules rénaux (combinés) et des carcinomes des tubules rénaux chez les souris mâles, et des carcinomes broncho-alvéolaires, des adénomes ou carcinomes hépatocellulaires (combinés), des carcinomes hépatocellulaires, des hémangiosarcomes hépatiques et des hémangiomes ou hémangiosarcomes (combinés) et des hémangiosarcomes du système vasculaire chez les souris femelles. Dans une autre étude par inhalation17 chez la souris, il  provoquait des adénomes pulmonaires chez les souris mâles et femelles, des adénocarcinomes rénaux chez les souris mâles et des carcinomes mammaires chez les souris femelles. Dans une étude de gavage chez la souris, il provoquait des lymphomes malins chez les souris femelles. Dans une étude par inhalation16 chez le rat, il causait des mésothéliomes malins chez les rats mâles, des leucémies à cellules mononucléées, des adénomes ou carcinomes thyroïdiens à cellules C (combinés) et des carcinomes thyroïdiens à cellules C chez les rats femelles. Chez les rats exposés par inhalation, il provoquait des leucémies chez les femelles dans une étude et des adénocarcinomes mammaires chez les femelles dans une autre. Le chlorure de vinylidène est rapidement absorbé, largement distribué et fortement oxydé par le CYP2E1 en métabolites électrophiles chez les rongeurs. L’étendue du métabolisme, de la conjugaison au glutathion et de l’activation par la β-lyase détermine les différences de réponse toxique selon les tissus, les espèces et le sexe. Le chlorure de vinylidène est génotoxique dans les cellules mammaliennes in vitro et dans les bactéries, mais pas in vivo (aucune étude humaine n’est disponible).

Nous déclarons ne pas avoir de conflits d’intérêts.

Yann Grosse, Dana Loomis, Kathryn Z Guyton, Fatiha El Ghissassi, Véronique Bouvard, Lamia Benbrahim-Tallaa, Heidi Mattock, Kurt Straif, pour le Groupe de Travail des Monographies du Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), Lyon, France.

Article en anglais publié en ligne le 27 Juin 2017

https://doi.org/10.1016/S1470-2045(17)30505-3

Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir : http://monographs.iarc.fr/

Prochaines réunions

10-17 octobre 2017, Volume 120 : Benzène

20-27 mars 2018, Volume 121 : Styrène, styrène-7,8-oxyde, et quinolone

Membres du Groupe de Travail de la Monographie

B W Stewart (Australie) – Président de la réunion ; A P de Melo Loureiro, F J Paumgartten (Brésil) ; A Afghan, M Baril, C Hilts (empêché), C M Sergi (Canada) ; D W Lachenmeier (Allemagne) ; K Ogawa (Japon) ; C Svendsen (Norvège) ; I M Ferreira (Portugal) ; J W Cherrie (Royaume-Uni) ; F A Beland, J V Bruckner, J K Dunnick, G Gamboa da Costa, K A Houck, C W Jameson, L H Lash, R L Melnick, K L Witt (Etats-Unis)

Déclaration d’intérêts

M Baril est membre des comités d’experts sur les Valeurs limites d’exposition professionnelle (2010-2017) et les Substances (2014-2017) de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et a un contrat avec l’IRSST (Canada) pour le CNESST (Canada) sur les cancers et les pompiers.

F A Beland et G Gamboa da Costa ont reçu un financement du National Toxicology Program des Etats-Unis pour mener des recherches sur la mélamine.

C M Sergi a reçu une subvention de recherche du Women’s and Children’s Health Research Institute sur les ostéosarcomes.

Tous les autres membres du Groupe de Travail déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Spécialistes invités

Aucun

Représentants

S Charles, pour l’ANSES, France

S Ladhari, pour l’Agence nationale de contrôle sanitaire et environnemental des produits, Tunisie

Déclaration d’intérêts

Tous les Représentants déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Observateurs

H P Gelbke, pour ReachCentrum SA, Belgique, au nom du consortium Reach Melamine à la demande de l’Association Européenne des Producteurs de Mélamine ;

M Ibanez Gomez, pour Solvay SA, Belgique ;

E L Rushton, pour LyondellBasell Industries, Pays-Bas

Déclaration d’intérêts

H P Gelbke détient des actions dans une entreprise de production de mélamine. M Ibanez Gomez est un employé de Solvay SA. E L Rushton travaille pour un fabricant d’un des composés.

Tous les autres observateurs du Groupe de Travail déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Secrétariat du CIRC

L Benbrahim-Tallaa ; V Bouvard ; F El Ghissassi ; Y Grosse ; K Z Guyton ; R Khlifi ; D Loomis ; H Mattock ; K Straif

Déclaration d’intérêts

L’ensemble des membres du Secrétariat déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Pour le Préambule aux Monographies, lire : http://monographs.iarc.fr/ENG/Preamble/index.php

Pour les conflits d’intérêts, lire : http://monographs.iarc.fr/ENG/Meetings/vol119-participants.pdf

    Références

    1 International Agency for Research on Cancer. Volume 119: Some chemicals that cause tumours of the urinary tract in rodents. IARC Working Group. Lyon, France; 6–13 June, 2017. IARC Monogr Eval Carcinog Risks Hum (in press).

    International Agency for Research on Cancer. Species differences in thyroid, kidney, and urinary bladder carcinogenesis. Proceedings of a consensus conference. Lyon, France, 3-7 November 1997. IARC Sci Publ 1999; 147: 1–225.

    3 National Toxicology Program. NTP carcinogenesis bioassay of melamine (CAS No. 108-78-1) in F344/N rats and B6C3F1 mice (feed study). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 1983; 245: 1–171.

    4 Okumura M, Hasegawa R, Shirai T, Ito M, Yamada S, Fukushima S. Relationship between calculus formation and carcinogenesis in the urinary bladder of rats administered the non-genotoxic agents thymine or melamine. Carcinogenesis 1992; 13: 1043–45.

    5 Ogasawara H, Imaida K, Ishiwata H, Toyoda K, Kawanishi T, Uneyama C, et al. Urinary bladder carcinogenesis induced by melamine in F344 male rats: correlation between carcinogenicity and urolith formation. Carcinogenesis 1995; 16: 2773–77.

    6 Cremonezzi DC, Silva RA, del Pilar Díaz M, Valentich MA, Eynard AR. Dietary polyunsatured fatty acids (PUFA) differentially modulate melamine-induced preneoplastic urothelial proliferation and apoptosis in mice. Prostaglandins Leukot Essent Fatty Acids 2001; 64: 151–59.

    7 Guan N, Fan Q, Ding J, et al. Melamine-contaminated powdered formula and urolithiasis in young children. N Engl J Med 2009; 360: 1067–74.

    8 Lau YL, Tu W. Case-control study of Sichuan and Hong Kong children with melamine-associated renal stones: renal ultrasonography and urinary IL-8 and MCP-1 levels. Hong Kong Med J 2013; 19 (suppl 8): 26–30.

    9 Melnick RL, Boorman GA, Haseman JK, Montali RJ, Huff J. Urolithiasis and bladder carcinogenicity of melamine in rodents. Toxicol Appl Pharmacol 1984; 72: 292–303.

    10 National Toxicology Program. NTP technical report on the toxicology and carcinogenesis studies of propylene glycol mono-t-butyl ether (CAS No. 57018-52-7) in F344/N rats and B6C3F1 mice and a toxicology study of propylene glycol mono-t-butyl ether in male NBR rats (inhalation studies). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 2004; 515: 1–306.

    11 National Toxicology Program. NTP technical report on the toxicology and carcinogenesis studies of beta-myrcene (CAS No. 123-35-3) in F344/N rats and B6C3F1 mice (gavage studies). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 2010; 557: 1–163.

    12 National Toxicology Program. Toxicology and carcinogenesis studies of furfuryl alcohol (CAS No. 98-00-0) in F344/N rats and B6C3F1 mice (inhalation studies). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 1999; 482: 1–248.

    13 Monien BH, Schumacher F, Herrmann K, Glatt H, Turesky RJ, Chesné C. Simultaneous detection of multiple DNA adducts in human lung samples by isotope-dilution UPLC-MS/ MS. Anal Chem 2015; 87: 641–48.

    14 National Toxicology Program. NTP toxicology and carcinogenesis studies of pyridine (CAS No. 110-86-1) in F344/N rats, Wistar rats, and B6C3F1 mice (drinking water studies). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 2000; 470: 1–330.

    15 National Toxicology Program. NTP Toxicology and carcinogenesis studies of tetrahydrofuran (CAS No.109-99-9) in F344/N rats and B6C3F1 mice (inhalation studies). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 1998; 475: 1–244.

    16 National Toxicology Program. Toxicology and carcinogenesis studies of vinylidene chloride (CAS No. 75-35-4) in F344/N rats and B6C3F1/N mice (inhalation studies). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 2015; 582: 1–230.

    17 Maltoni C, Cotti G, Chieco P. Chronic toxicity and carcinogenicity bioassays of vinylidene chloride. Acta Oncol 1984; 5: 91–145.

Auteur : Département Prévention Cancer Environnement, Centre Léon Bérard

Relecture : Section Monographie du CIRC, Section Communication du CIRC

Mise à jour le 08 juil. 2022

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