Vol. 126 : Cancérogénicité de la consommation d'opium

Présentation

En septembre 2020, un Groupe de travail de 16 chercheurs issus de dix pays différents s’est réuni par téléconférence à l’invitation du Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) pour finaliser leur évaluation de la cancérogénicité de la consommation d’opium. Cette évaluation sera publiée dans le Volume 126 des Monographies du CIRC1.

Le Groupe de travail a évalué la consommation d’opium, un psychotrope provoquant l’addiction. L’évaluation ne porte que sur l’opium, qui est le produit dérivé du suc (latex) de capsules immatures de pavot (Papaver somniferum), ayant subi des transformations minimales, comme décrit plus en détail ci-dessous. D’autres opiacés, tels que l’héroïne, la morphine et la codéine, ainsi que les opioïdes de synthèse, comme le fentanyl, sont en dehors du cadre de cette évaluation.

L’opium a une composition chimique complexe comprenant au moins 25 alcaloïdes et d’autres ingrédients2. Le latex de la plante de pavot récolté est généralement traité par séchage ou par ébullition avant consommation en tant qu’opium. Les formes d’opium illicite couramment consommées incluent l’opium brut (ou naturel), les déchets d’opium [ou dross] (résidus goudronneux formés après que de l’opium brut a été fumé) et l’opium raffiné ou sève d’opium (déchets [dross] d’opium bouillis, avec ou sans ajout d’opium brut). Ces trois formes sont habituellement fumées ou ingérées. Les produits de pyrolyse d’opium (les résidus solides d’opium brûlé) peuvent résulter du fait de fumer n’importe quelle forme d’opium. L’opium est parfois contaminé (ou, dans le cas de l’opium illicite, frelaté) par du plomb, du chrome, de l’arsenic ou d’autres substances.

Le Groupe de travail a classé la consommation d’opium comme « cancérogène pour l’homme » (Groupe 1) sur la base d’indications « suffisantes » de cancérogénicité chez l’homme. La décision d’indications « suffisantes » s’applique à l’opium brut, l’opium issu de déchets [dross] ou la sève d’opium, fumé(e) ou ingéré(e).

La production et la distribution d’opium sont contrôlées au niveau international depuis 1961. L’opium est produit illégalement dans environ 50 pays dans le monde, et la production mondiale a augmenté au cours de la dernière décennie3. Plus de 80 % de l’opium illicite mondial provient d’Afghanistan. Quinze à 20 % de la production totale d’opium est utilisée à l’état brut ou après des transformations minimales ; le reste est transformé en d’autres opiacés, principalement en héroïne3. On estime qu’en 2009, l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan étaient les plus gros consommateurs d’opium brut ou peu transformé par habitant, avec 42 % de la consommation mondiale en Iran. Les estimations les plus récentes suggèrent qu’il y a 5 millions de consommateurs d’opium illicite au monde4. Bien que l’opium soit utilisé dans tous les segments de la société4, le sexe masculin, un âge plus avancé, un statut socio-économique plus faible et le tabagisme sont des facteurs fortement déterminants de la consommation d’opium. Les formes légales d’opium (par exemple, la teinture et le sirop d’opium) représentent une petite proportion de la production mondiale d’opium, et aucune étude épidémiologique sur les consommateurs de ces produits n’a été trouvée.

Deux études de cohorte et plus d’une vingtaine d’études cas-témoins (la plupart réalisées en milieu hospitalier) menées dans différentes régions et au sein de différentes populations d’Iran ont étudié l’association entre la consommation d’opium et l’incidence ou la mortalité par cancers de divers organes. L’étude la plus informative a été l’étude de cohorte du Golestan (GCS), débutée en 2004 dans la province du Golestan, au nord-est de l’Iran, qui a inclu 50 045 adultes suivis pendant plus de dix ans pour identifier les cancers incidents5. L’étude GCS a utilisé un questionnaire structuré (validé grâce aux taux urinaires de métabolites de l’opium) qui comportait des questions sur le type d’opium, le mode de consommation, la temporalité de l’exposition (par exemple l’âge à la première utilisation), la durée et l’intensité, ce qui a permis d’estimer l’exposition cumulée. La notion de « consommation d’opium » a été définie comme la consommation d’opium au moins une fois par semaine pendant au moins six mois. Le type d’étude de cohorte prospective minimise les doutes relatifs aux biais de sélection et à la causalité inversée. L’évaluation détaillée des facteurs démographiques, socio-économiques et ceux liés au mode de vie a répondu aux préoccupations sur les principaux facteurs de confusion potentiels, dont le tabagisme. Plusieurs études cas-témoins sans lien [avec l’étude GCS] ont également utilisé le questionnaire de l’étude GCS, tandis que d’autres ont eu recours à des questionnaires différents, à des entretiens ou aux dossiers des patients pour évaluer l’exposition à l’opium. La quantité de détails et la qualité des informations sur l’exposition varient considérablement d’une étude épidémiologique à l’autre.

Sur la base des données épidémiologiques disponibles, le Groupe de travail a déterminé qu’une association positive a été établie pour les cancers du larynx, du poumon et de la vessie. Pour le cancer du larynx, un rapport de risque (HR) ajusté de 2,5 (intervalle de confiance à 95 % [IC 95 %] 1,2–5,3) pour la « consommation d’opium » et une tendance positive entre exposition cumulée et réponse (p=0,0004) ont été observés dans l’étude GCS5. Deux grandes études cas-témoins sur le cancer du larynx, ayant une estimation robuste de l’exposition basée sur le questionnaire de l’étude GCS et un contrôle approprié des facteurs de confusion ont fait état de rapports de cotes (ORs) de 6 à 12 pour la « consommation d’opium » par rapport à l’absence de consommation d’opium, et des tendances fortes entre exposition et réponse relatives à la consommation cumulée d’opium6,7. Quatre études cas-témoins antérieures, avec des méthodes moins fiables, ont également trouvé une augmentation substantielle des risques de cancer du larynx liée à la consommation d’opium.

Dans l’étude GCS, pour le cancer du poumon, un HR ajusté de 2,2 (IC 95 % 1,4–3,4) a été observé pour les « consommateurs d’opium » et une tendance positive (p<0,0001) a été observée en fonction des quartiles croissants de consommation cumulée5. Deux études cas-témoins récentes ont également trouvé des ORs sensiblement augmentés ou des tendances exposition-réponse positives8,9. Les trois études avaient ajusté les résultats relatifs à l’opium sur les paquets-années de consommation de tabac.

Le risque de cancer de la vessie était sensiblement accru dans l’étude GCS, avec un HR ajusté de 2,9 (1,5–5,5) chez les « consommateurs d’opium » [par comparaison aux personnes qui n’ont jamais consommé d’opium] et une tendance positive avec la consommation cumulée d’opium (p=0,0009)5. La quasi-totalité des huit études cas-témoins, de qualité variable, ont également trouvé des associations positives entre la consommation d’opium et le cancer de la vessie, avec des ORs de 2 à 5 et des bornes inférieures de l’IC 95 % excluant l’unité. Bien que les méthodes de sélection des témoins, d’évaluation de l’exposition et d’ajustement des facteurs de confusion varient d’une étude à l’autre, les études cas-témoins les plus informatives ont également trouvé des associations positives pour le cancer de la vessie. Dans une méta-analyse des études cas-témoins réalisée en 2017, l’OR global a été estimé à 3,4 (IC 95 % 1,6–7,2) pour le petit sous-ensemble (parmi cinq études) de participants consommant uniquement de l’opium et non du tabac10.

Pour ces trois localisations de cancer (larynx, poumon et vessie), des analyses par sous-groupes ont révélé que les risques liés à la consommation d’opium étaient augmentés pour les consommateurs des deux sexes et chez ceux n’ayant jamais fumé de tabac (bien que les résultats s’appuient sur des effectifs plus faibles), ce qui apporte un élément de preuve supplémentaire en faveur d’une association causale5,9,10. Bien que chaque étude considérée individuellement ait ses limites, collectivement, ces études fournissent une base pour exclure, avec une certitude raisonnable, le hasard, les biais, la causalité inversée et les facteurs de confusion comme explications alternatives des associations positives entre la consommation d’opium et les cancers du larynx, du poumon et de la vessie. En tant que telles, les indications ont donc été considérées comme « suffisantes » pour ces trois types de cancer.

Par ailleurs, il existe des indications « limitées » que la consommation d’opium provoque les cancers de l’œsophage, de l’estomac, du pancréas et du pharynx. Pour ces localisations de cancer, les données disponibles étaient constituées de l‘étude GCS5, d’une petite étude de cohorte portant sur le cancer de l’estomac et de plusieurs études cas-témoins. Bien qu’une association positive soit plausible, le hasard, les biais et les confusions ou une combinaison de ces éléments ne pouvaient pas être exclus comme explications, en raison des incohérences dans les résultats (par exemple, concernant les cancers de l’œsophage et du pancréas), des doutes sur le contrôle des facteurs de confusion (par exemple, concernant le cancer de l’estomac), ou du petit nombre d’études (par exemple, concernant le cancer du pharynx). Pour toutes les autres localisations de cancer, les indications ont été estimées « insuffisantes ».

Chez l’homme, les métabolites de l’opium ont été détectés dans l’urine, les cheveux et le sang après exposition à de l’opium ingéré ou fumé. Des systèmes expérimentaux ont apporté des indices  « solides » que l’opium, en particulier les déchets d’opium [dross] et les produits de pyrolyse d’opium, présentent des caractéristiques clés de cancérogènes ; ces formes d’opium sont génotoxiques. Chez l’animal de laboratoire, les indications de la cancérogénicité de l’opium étaient « insuffisantes » car les études disponibles présentaient des limites qualitatives ou quantitatives majeures.

Nous déclarons n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Monographies du CIRC, Groupe de travail du Vol. 126

Centre international de Recherche sur le Cancer, Lyon (France)

Lancet Oncol 2020 

Article en anglais publié en ligne le 8 octobre 2020

https://doi.org/10.1016/S1470-2045(20)30611-2

Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir http://monographs.iarc.who.int/

Prochaines réunions

29 octobre – 13 novembre 2020, volume 128 : Acroléine, crotonaldéhyde et arécoline ;

22 février – 5 mars 2021, volume 129 : Violet de gentiane, violet leucogentiane, vert malachite, vert leucomalachite, et indice de couleur bleu direct 218

Membres du Groupe de travail de la Monographie du CIRC

S Warnakulasuriya (Royaume-Uni) – Président de la réunion ; D Cronin-Fenton (Danemark) ; J Jinot (Etats-Unis) ; F Kamangar (Etats-Unis) ; R Malekzadeh (Iran) – Présidents de sous-groupes ; NA Dar (Inde) ; A Etemadi (Etats-Unis) ; P Fortini (Italie) ; DC Glass (Australie) ; N Khanjani (Iran) ; R Kikura-Hanajiri (Japon) ; N Malats (Espagne) ; A Pourshams (Iran) ; A Rahimi-Movaghar (Iran) ; DB Richardson (Etats-Unis) ; V Sewram (Afrique du Sud)

Déclaration d’intérêts

Tous les membres du Groupe de travail déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Spécialistes invités
Aucun

Représentants  
Aucun

Observateurs
Aucun

Secrétariat du CIRC
L Benbrahim-Tallaa ; IA Cree ; J Girschik ; Y Grosse ; KZ Guyton ; B Hosseini ; T Landesz ; A Miranda-Filho ; M Li ; H Mattock ; MK Schubauer-Berigan ; M Sheikh ; E Suonio ; MC Turner

Déclaration d’intérêts

Tous les membres du Secrétariat déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Pour le Préambule aux Monographies du CIRC, se référer à : https://monographs.iarc.who.int/wp-content/uploads/2019/01//Preamble-2019.pdf

Pour les déclarations d’intérêt faites au CIRC, se référer à : https://monographs.iarc.who.int/wp-content/uploads/2019/06/Short-list-of-participants_126.pdf

Infographie en français Vol. 126

Questions Réponses en français Vol. 126

    Références

    1 International Agency for Research on Cancer. Volume 126: opium consumption. IARC Working Group. Lyon, France; Sept 11–20, 2020. IARC Monogr Identif Carcinog Hazards Hum (sous presse).

    2 Ray R, Kattimani S, Sharma HK. Opium abuse and its management: global scenario. National Drug Dependence Treatment Centre, All India Institute of Medical Sciences, World Health Organization, 2006. https://www.who.int/substance_abuse/activities/opium_abuse_and_its_management.pdf (consulté le 6 octobre 2020).

    3 United Nations Office on Drugs and Crime. World drug report 2020. Vienna: United Nations, 2020. https://wdr.unodc.org/wdr2020/field/WDR20_Booklet_3.pdf (consulté le 6 octobre 2020).

    4 Rahimi-Movaghar A, Gholami J, Amato L, Hoseinie L, Yousefi-Nooraie R, Amin-Esmaeili M. Pharmacological therapies for management of opium withdrawal. Cochrane Database Syst Rev 2018; 6: CD007522.

    5 Sheikh M, Shakeri R, Poustchi H, et al. Opium use and subsequent incidence of cancer: results from the Golestan Cohort Study. Lancet Glob Health 2020; 8: e649–60.

    6 Mohebbi E, Hadji M, Rashidian H, et al. Opium use and risk of head and neck squamous cell carcinoma. Int J Cancer 2020; publié en ligne le 7 septembre 2020. https://doi.org/10.1002/ijc.33289.

    7 Alizadeh H, Naghibzadeh Tahami A, Khanjani N, et al. Opium use and head and neck cancers: a matched case-control study in Iran. Asian Pac J Cancer Prev 2020; 21: 783–90.

    8 Masjedi MR, Naghan PA, Taslimi S, et al. Opium could be considered an independent risk factor for lung cancer: a case-control study. Respiration 2013; 85: 112–18.

    9 Naghibzadeh-Tahami A, Marzban M, Yazdi-Feyzabadi V, et al. Is opium use associated with an increased risk of lung cancer? A case-control study. BMC Cancer 2020; 20: 807.

    10 Afshari M, Janbabaei G, Bahrami MA, Moosazadeh M. Opium and bladder cancer: a systematic review and meta-analysis of the odds ratios for opium use and the risk of bladder cancer. PLoS One 2017; 12: e0178527.

Auteur : Département Prévention Cancer Environnement, Centre Léon Bérard

Relecture : Centre international de Recherche sur le Cancer, Lyon (France)

Mise à jour le 12 juil. 2022

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