Vol. 137 : Cancérogénicité de l’hydrochlorothiazide, du voriconazole et du tacrolimus

Présentation

En novembre 2024, un Groupe de travail composé de 22 chercheurs de 14 pays s’est réuni au Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) à Lyon, en France, pour finaliser son évaluation de la cancérogénicité de l’hydrochlorothiazide, du voriconazole et du tacrolimus.

L’hydrochlorothiazide a été classé comme « cancérogène pour l’humain » (Groupe 1) sur la base d’indications « suffisantes » de cancer chez l’humain. Il existe également des indications « suffisantes » de cancer chez l’animal de laboratoire et des indications mécanistiques « limitées ». Le voriconazole a été classé comme « cancérogène pour l’humain » (Groupe 1) sur la base d’indications « suffisantes » de cancer chez l’humain. Il existe également des indications mécanistiques « fortes » chez les humains exposés et dans les cellules primaires humaines. Le tacrolimus a été classé comme « cancérogène pour l’humain » (Groupe 1) sur la base d’indications « suffisantes » de cancer chez l’humain et de la combinaison d’indications « suffisantes » de cancer chez l’animal de laboratoire et d’indications mécanistiques « fortes » chez les humains exposés. Ces évaluations seront publiées dans le Volume 137 des Monographies du CIRC1.

L’exposition à l’hydrochlorothiazide, au voriconazole et au tacrolimus provient principalement de l’usage médicamenteux ; l’exposition d’ordre environnemental ou professionnel devrait être plusieurs fois inférieure à celle induite par les médicaments.

L’hydrochlorothiazide est le diurétique thiazidique oral le plus couramment prescrit dans le monde pour le traitement de l’hypertension artérielle essentielle et des œdèmes périphériques. Bien que partiellement remplacé par d’autres antihypertenseurs, l’hydrochlorothiazide reste un médicament largement prescrit. Dans la plupart des pays, les formes combinées en un seul comprimé associant l’hydrochlorothiazide et des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine sont devenus les médicaments contenant de l’hydrochlorothiazide les plus utilisés. L’hydrochlorothiazide présente un caractère phototoxique en raison de l’interaction de la molécule avec les rayons ultraviolets (UV). Chez l’humain, il est facilement absorbé par le tractus gastro-intestinal. Deux métabolites ont été identifiés, bien que les enzymes responsables de leur formation n’aient pas encore été déterminées. L’excrétion, principalement rénale, peut être influencée par la fonction des organes, la variabilité génétique et le sexe.

Il existe des indications « suffisantes » chez l’humain que l’hydrochlorothiazide provoque le carcinome épidermoïde (SCC) de la peau et le cancer de la lèvre. Une méta-analyse conduite par le Groupe de travail a montré des risques élevés, cohérents et précis de carcinome épidermoïde cutané chez les personnes ayant déjà pris de l’hydrochlorothiazide comparé : à celles qui n’en ont jamais pris (huit études, dont une étude danoise basée sur la population2), aux utilisateurs d’autres thiazides (trois études) et aux utilisateurs d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine ou d’autres antihypertenseurs non diurétiques (trois études, dont une étude américaine de grande envergure3). La méta-analyse a également montré une augmentation forte et constante du risque de cancer de la lèvre chez les personnes ayant déjà pris des médicaments, par rapport à celles qui n’en ont jamais pris. Les données probantes d’effets dose-réponse ont été notées tant pour le SCC2 de la peau que pour le cancer de la lèvre4. Les indications ont été jugées « limitées » pour le carcinome basocellulaire et le mélanome de la peau, ainsi que le carcinome des cellules de Merkel et les tumeurs cutanées annexielles malignes, en raison d’associations plus faibles ou d’un nombre restreint d’études disponibles.

Les indications « suffisantes » de cancer chez l’animal de laboratoire proviennent d’une étude menée selon les bonnes pratiques de laboratoire (BPL) sur des souris B6C3F1 mâles et femelles5 : l’hydrochlorothiazide a provoqué des adénomes hépatocellulaires et des adénomes ou carcinomes hépatocellulaires (combinés) chez les mâles. De plus, une augmentation de l’incidence du phéochromocytome de la glande surrénale a été observée chez les rats femelles F3446. Le Groupe de travail a considéré le phéochromocytome comme un indicateur pertinent de cancérogénicité, en raison de la rareté de ces tumeurs, de l’observation de changements hyperplasiques et néoplasiques dans la glande surrénale du rat à un âge inhabituellement jeune, et du comportement ambigu de ces tumeurs en ce qui concerne leur malignité, tel que décrit dans la Classification OMS des Tumeurs7. Il existe des indications « limitées » que l’hydrochlorothiazide présente les caractéristiques clés des cancérogènes chez les humains exposés et dans les systèmes expérimentaux. Dans plusieurs cas, des effets ont été observés en présence de rayons UV à des niveaux similaires à ceux d’une exposition typique à la lumière du soleil.

Le voriconazole est un médicament antifongique triazole à large spectre. Il est utilisé comme traitement curatif ou prophylactique de l’aspergillose invasive et d’autres infections fongiques graves, particulièrement fréquentes chez les receveurs de greffes. Son utilisation est autorisée dans la plupart des pays pour la population adulte et pédiatrique (âge ≥2 ans). Le voriconazole est principalement disponible sous forme de formulations orales et intraveineuses. Le médicament est bien absorbé après administration par voie orale et est largement distribué dans tous les tissus. Il est largement métabolisé dans le foie. Le principal métabolite circulant, le N-oxyde de voriconazole, est dépourvu d’activité antifongique, mais il est phototoxique et lentement éliminé. La variabilité génétique de l’enzyme métabolique CYP2C19, qui se traduit par un large éventail de phénotypes métaboliques, est en corrélation avec la toxicité cutanée.

Il existe des indications « suffisantes » que le voriconazole provoque un SCC cutané chez l’humain. Plusieurs études menées chez des receveurs de greffes ont montré une association positive entre l’utilisation du voriconazole et l’incidence du SCC cutané8. Des inquiétudes ont toutefois été exprimées quant à la confusion d’indication due à l’intensité de l’immunosuppression chez les receveurs de greffes. Néanmoins, en recourant à la triangulation, l’ensemble des indications de cancer chez l’humain soutient fortement une interprétation causale. Ces données probantes incluaient une augmentation monotone du risque avec l’augmentation de l’exposition au voriconazole dans l’étude la plus robuste8, des indications dérivées de l’interaction gène-médicament qui informent sur le risque spécifique au métabolite phototoxique N-oxyde de voriconazole9, et l’occurrence du SCC même chez les enfants exposés à l’agent.

Les indications mécanistiques concernant le voriconazole ont été jugées « fortes » avec l’exposition aux rayons UV pour les caractéristiques clés des cancérogènes « induit un stress oxydatif » et « altère la prolifération cellulaire, la mort cellulaire ou l’apport en nutriments ». Le métabolite phototoxique, le N-oxyde de voriconazole, augmente systématiquement la génération d’espèces réactives de l’oxygène induite par les rayons UV ainsi que les dommages oxydatifs à l’ADN dans les kératinocytes primaires humains et dans un modèle d’équivalent de peau humaine. Ces observations concordent avec un rapport informatif concernant de nombreux patients traités au voriconazole10, chez lesquels une kératose actinique (une lésion précancéreuse impliquant une prolifération cellulaire anormale) s’est développée dans les zones spécifiques de la peau exposées au soleil et, dans certains cas, régressant après l’arrêt du traitement. Les indications concernant le cancer chez l’animal de laboratoire étaient « insuffisantes ».

Le tacrolimus est un inhibiteur de la calcineurine utilisé comme médicament immunosuppresseur.  Administré sous forme orale et intraveineuse, seul ou en association avec d’autres médicaments, il permet de réduire le risque de rejet des greffes d’organes solides chez les patients adultes et pédiatriques, et de prévenir la maladie du greffon contre l’hôte chez les receveurs de greffes de cellules souches. Sous forme topique, le tacrolimus est indiqué en traitement de deuxième intention de la dermatite atopique et du vitiligo.

Il existe des indications « suffisantes » que le tacrolimus provoque des lymphomes non hodgkiniens (LNH) et des troubles lymphoprolifératifs post-transplantation chez l’humain. Les indications les plus convaincantes proviennent de six études11 menées auprès de populations de receveurs de greffes, dans lesquelles les groupes de comparaison incluaient des patients traités par d’autres médicaments immunosuppresseurs, dont la ciclosporine, classée dans le Groupe 1 et cause des LNH12. Par conséquent, l’augmentation modérée, bien qu’imprécise, du risque de SCC observée dans les études, et les données des méta-analyses du Groupe de travail, soutiennent une conclusion causale. Les indications d’une association causale entre le tacrolimus et la leucémie et le SCC cutané ont été jugées « limitées » en raison d’un nombre réduit d’études ou d’associations plus faibles.

Les indications « suffisantes » de cancer chez l’animal de laboratoire proviennent d’une étude BPL menée sur des souris B6C3F1 mâles et femelles13 dans laquelle le tacrolimus a induit un lymphome pléomorphe chez les deux sexes et un lymphome indifférencié chez les femelles. Il existe des indications mécanistiques « fortes » que le tacrolimus présente des caractéristiques clés des substances cancérogènes. Le tacrolimus a eu un effet immunosuppresseur chez les personnes exposées, dans les cellules primaires humaines et dans divers systèmes expérimentaux. Des indications d’immunosuppression ont été observées chez les receveurs de greffes traités au tacrolimus ainsi que chez les patients atteints de maladies auto-immunes. Le tacrolimus a altéré un grand nombre de cellules immunitaires et de mécanismes impliqués dans le contrôle de la croissance tumorale par le système immunitaire. Ces indications étaient cohérentes entre les cellules primaires et les systèmes expérimentaux. Le tacrolimus était génotoxique et a induit un stress oxydatif dans les systèmes expérimentaux.

Centre international de Recherche sur le Cancer, Lyon, France

Lancet Oncol 2024

Article en anglais publié en ligne le 29 novembre 2024 : https://doi.org/10.1016/S1470-2045(24)00685-5

ABAB fait état d’un financement de recherche d’une société pharmaceutique qui commercialise le voriconazole et le tacrolimus. Tous les autres auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Vincent J Cogliano, Emanuela Corsini, Agnès Fournier, Heather H Nelson, Consolato M Sergi, Alexandra M M Antunes, Elizabeth K Cahoon, Guosheng Chen, Talita Duarte-Salles, Eric Engels, Jingqi Fu, Dori Germolec, Reza Ghiasvand, Blánaid Hicks, Bertrand J Jean-Claude, Gopabandhu Jena, Catharina M Lerche, Xilin Li, Angela Lupattelli, Thomas P Ong, Libia Vega, Diana R Withrow, Alistair B A Boxall, Lamia Benbrahim-Tallaa, Aline de Conti, Andrew Kunzmann, Elisa Pasqual, Roland Wedekind, Xiaobei Deng, Yahya Mahamat-Saleh, Azam Majidi, Laia Peruchet-Noray, Julia Rezende Da Silva, Eero Suonio, Susana Viegas, Yue Zhai, Heidi Mattock, Caterina Facchin, Mary K Schubauer-Berigan*, Federica Madia*

*Co-auteurs principaux

Membres du Groupe de travail de la Monographie du CIRC

VJ Cogliano (Etats-Unis) – Président de la réunion ; E Corsini (Italie) ; A Fournier (France) ; HH Nelson (Etats-Unis) ; CM Sergi (Canada) – Vice-Présidents de la réunion ; AMM Antunes (Portugal) ; EK Cahoon (Etats-Unis) ; G Chen (Canada) ; T Duarte-Salles (Espagne) ; E Engels (Etats-Unis) ; J Fu (Chine) ; D Germolec (Etats-Unis) ; R Ghiasvand (Norvège) ; B Hicks (Royaume-Uni) ; BJ Jean-Claude (Canada) ; GB Jena (Inde) ; CM Lerche (Danemark) ; X Li (Etats-Unis) ; A Lupattelli (Norvège) ; TP Ong (Brésil) ; L Vega (Mexique) ; DR Withrow (Royaume-Uni)

Déclaration d’intérêts

Les membres du Groupe de travail déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Spécialistes invités

ABA Boxall, University of York, Royaume-Uni

Déclaration d’intérêts

ABAB fait état d’un financement de recherche d’une société pharmaceutique qui commercialise le voriconazole et le tacrolimus

Représentants

Aucun

Observateurs

Aucun

Secrétariat du CIRC

L Benbrahim-Tallaa ; A de Conti ; X Deng ; C Facchin ; A Kunzmann ; F Madia ; Y Mahamat-Saleh ; A Majidi ; H Mattock ; E Pasqual ; L Peruchet-Noray ; J Rezende da Silva ; MK Schubauer-Berigan ; E Suonio ; S Viegas ; R Wedekind ; Y Zhai

Déclaration d’intérêts

Les membres du Secrétariat déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Prochaines réunions

25 février–4 mars 2025 : Volume 138 : Essence automobile et certains additifs oxygénés

3–10 juin 2025 : Volume 139 : Le virus de l’hépatite D, le cytomégalovirus humain et le polyomavirus à cellules de Merkel

28 octobre–4 novembre 2025 : Volume 140 : Atrazine, alachlore et vinclozoline

 

Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir :

https://monographs.iarc.who.int/

Pour le Préambule aux Monographies du CIRC, voir :

https://monographs.iarc.who.int/wp-content/uploads/2019/07/Preamble-2019.pdf

Pour les déclarations d’intérêts faites au CIRC, voir :

https://monographs.iarc.who.int/wp-content/uploads/2024/11/Vol137_Short_List_of_Participants-website.pdf

Clause de non-responsabilité

Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement les décisions, la politique ou les points de vue de leurs institutions respectives.

 

Pour aller plus loin

L’autorisation pour la traduction des documents « Questions et Réponses » et « Infographie » pour la Monographie Volume 137 – Cancérogénicité de l’hydrochlorothiazide, du voriconazole et du tacrolimus a été accordée en 2024 par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), qui reste le détenteur des droits d’auteur de la version originale. L’autorisation de traduction en français a été accordée par le détenteur des droits d’auteur au Centre Léon Bérard, qui détient les droits de la traduction et est seul responsable de celle-ci. Les conditions d’utilisation des contenus produits par le CIRC sont disponibles ici.

Lire Questions et Réponses (FAQ) (Version française)

Voir Infographie (Version française)

    Références

    1 International Agency for Research on Cancer. Volume 137: Hydrochlorothiazide, voriconazole, and tacrolimus. Lyon, France; Nov 5–12, 2024. IARC Monogr Identif Carcinog Hazards Hum (sous presse).

    2 Pedersen SA, Gaist D, Schmidt SAJ, et al. Hydrochlorothiazide use and risk of nonmelanoma skin cancer: a nationwide case-control study from Denmark. J Am Acad Dermatol 2018; 78: 673–81.e9.

    3 Eworuke E, Haug N, Bradley M, et al. Risk of nonmelanoma skin cancer in association with use of hydrochlorothiazide-containing products in the United States. JNCI Cancer Spectr 2021; 5: pkab009.

    4 Pottegård A, Hallas J, Olesen M, et al. Hydrochlorothiazide use is strongly associated with risk of lip cancer. J Intern Med 2017; 282: 322–331.

    5 National Toxicology Program. Toxicology and carcinogenesis studies of hydrochlorothiazide (CAS No. 58-93-5) in F344/N rats and B6C3F1 mice (feed studies). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 1989; 357: 1–194.

    6 Lijinsky W, Reuber MD. Pathologic effects of chronic administration of hydrochlorothiazide, with and without sodium nitrite, to F344 rats. Toxicol Ind Health 1987; 3: 413–22.

    7 Mete O, Asa SL, Gill AJ, et al. Overview of the 2022 WHO classification of paragangliomas and pheochromocytomas. Endocr Pathol 2022; 33: 90–114.

    8 D’Arcy ME, Pfeiffer RM, Rivera DR, et al. Voriconazole and the risk of keratinocyte carcinomas among lung transplant recipients in the United States. JAMA Dermatol 2020; 156: 772–79.

    9 Ike JI, Smith IT, Mosley D, et al. Voriconazole metabolism is associated with the number of skin cancers per patient. Arch Dermatol Res 2024; 316: 303.

    10 Epaulard O, Villier C, Ravaud P, et al. A multistep voriconazole-related phototoxic pathway may lead to skin carcinoma: results from a French nationwide study. Clin Infect Dis 2013; 57: e182–88.

    11 Caillard S, Dharnidharka V, Agodoa L, et al. Posttransplant lymphoproliferative disorders after renal transplantation in the United States in era of modern immunosuppression. Transplantation 2005; 80: 1233–43.

    12 International Agency for Research on Cancer. Volume 100A: Pharmaceuticals. Lyon, France: International Agency for Research on Cancer, 2012. https://publications.iarc.fr/118.

    13 US Food and Drug Administration. Review and evaluation of pharmacology: toxicology data. Pharmacologist’s review. Application number NDA_50_777. 2000. https://www.accessdata. fda.gov/drugsatfda_docs/nda/2000/50777_ Protopic_Pharmr_P1.pdf (consulté le 26 novembre 2024).

Auteur : Traduction du Département Prévention Cancer Environnement du Centre Léon Bérard

Relecture : Section des Monographies, CIRC ; Groupe Communication, CIRC

Mise à jour le 25 nove. 2025

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