Vol. 139 : Cancérogénicité du virus de l’hépatite D, du cytomégalovirus humain et du polyomavirus à cellules de Merkel

Présentation

En juin 2025, 17 chercheurs de 10 pays se sont réunis au Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) à Lyon, en France, pour finaliser leur évaluation de la cancérogénicité du virus de l’hépatite D (VHD), du cytomégalovirus humain (CMVH) et du polyomavirus à cellules de Merkel (MCPyV).

Le VHD a été classé comme « cancérogène pour l’humain » (Groupe 1) sur la base d’indications « suffisantes » de cancer chez l’humain. Le MCPyV a été classé comme « cancérogène pour l’humain » (Groupe 1) sur la base d’indications « suffisantes » de cancer chez l’humain et de la combinaison d’indications « suffisantes » de cancer chez l’animal de laboratoire et d’indications mécanistiques « fortes » chez les humains exposés. Le CMVH a été classé comme « peut-être cancérogène pour l’humain » (Groupe 2B) sur la base d’indications « limitées » de cancer chez l’humain. Ces évaluations seront publiées dans le volume 139 des Monographies du CIRC1.

Le VHD est un virus à ARN transmissible par le sang et classé dans le genre Deltavirus (famille Kolmioviridae). Le VHD infecte spécifiquement les hépatocytes, et l’infection peut être aiguë et se résoudre spontanément ou devenir chronique. Il s’agit d’un virus défectueux qui nécessite l’antigène de surface de l’hépatite B (HBsAg) comme composant de son enveloppe, ce qui signifie qu’une infection, antérieure ou simultanée, par le virus de l’hépatite B (VHB) est indispensable pour établir une infection par le VHD. La transmission peut se faire par contact avec le sang ou d’autres fluides corporels d’une personne infectée, par exemple par le partage d’aiguilles, par la transfusion de produits sanguins contaminés, l’hémodialyse ou des rapports sexuels non protégés. La prévalence de l’infection par le VHD parmi les populations HBsAg-positives varie de 1 % à 10 % dans la plupart des régions du monde, bien qu’une prévalence beaucoup plus élevée ait été observée dans certains pays2. La prévalence du VHD dans la population générale a été estimée entre 0,1 % et 1 %. Depuis la précédente classification du VHD en 1994 dans le Volume 59 des Monographies du CIRC, la littérature disponible s’est considérablement enrichie.

Il existe des indications « suffisantes » chez l’humain que le VHD provoque le carcinome hépatocellulaire (CHC). Dans 15 études limitées aux personnes infectées par le VHB, une méta-analyse réalisée par le Groupe de travail a mis en évidence une association positive forte et constante entre l’infection au VHD et un risque accru de CHC (risque relatif de la méta-analyse : 2,13 [IC à 95 % : 1,57-2,87]). Le risque accru de HCC était largement constant entre les études, qui étaient pourtant très diverses en termes de populations étudiées et de méthodologies. Le risque accru de CHC persistait lorsque la méta-analyse était limitée aux études qui avaient pris en compte les facteurs de confusion potentiels (tels que l’infection par le VIH ou le virus de l’hépatite C, la consommation d’alcool et l’IMC)3 ou lorsqu’elle était limitée aux patients atteints de cirrhose4. Les études évaluant les concentrations d’ARN du VHD5, une mesure de la réplication virale active, ont confirmé l’existence d’une relation exposition-réponse avec le CHC.

Les indications mécanistiques concernant le VHD étaient « fortes » pour les caractéristiques clés des cancérogènes. Plus précisément, le VHD induit une inflammation chronique chez les personnes exposées et dans les cellules primaires humaines. Chez les individus infectés, le VHD exacerbe l’inflammation causée par le VHB, en augmentant les réactions nécro-inflammatoires, l’infiltration de lymphocytes, la fibrose et la cirrhose, souvent accompagnées d’une augmentation des concentrations sériques de marqueurs immunitaires et inflammatoires. Dans les cellules primaires humaines, il existait des indications cohérentes et consistantes d’une réponse immunitaire des lymphocytes T avec induction de cytokines associées. Les indications concernant le cancer chez l’animal de laboratoire étaient « insuffisantes ».

Le MCPyV est un polyomavirus à génome ADN double brin circulaire, dont la prévalence rapportée est élevée dans les populations humaines (généralement bien supérieure à 50 %). Le MCPyV a précédemment été évalué dans le Volume 104 des Monographies du CIRC. Les infections par le MCPyV sont généralement contractées pendant la petite enfance par contact étroit entre humains, et le virus persiste en tant que composant majeur du virome cutané normal.

Il existe des indications « suffisantes » chez l’humain que le MCPyV provoque des carcinomes à cellules de Merkel (CCM). Une étude cas-témoins emboîtée, publiée depuis la précédente évaluation, a révélé une forte association positive (cinq fois) entre les anticorps neutralisants du MCPyV et le développement ultérieur du CCM6. Des rapports de cotes élevés pour le CCM ont également été observés en présence de concentrations élevées d’anticorps IgG contre les pseudovirions du MCPyV comparé à l’absence d’anticorps ou à de faibles concentrations d’anticorps6. Ces résultats complètent ceux d’études cas-témoins faisant état de marqueurs sérologiques élevés du MCPyV dans les cas de CCM, ainsi que de multiples séries de cas7 montrant l’intégration du MCPyV, des mutations tronquantes du grand T (LT) et l’expression de l’antigène LT dans les tumeurs du CCM.

Les indications « suffisantes » de cancer chez l’animal de laboratoire étaient basées sur une augmentation de l’incidence des tumeurs bénignes (papillome de la peau) et d’une série de tumeurs malignes (carcinome épidermoïde in situ de la peau ; tumeurs de haut grade de la rate et du foie ; et tumeurs ressemblant étroitement au CCM humain) chez les deux sexes d’une espèce (souris, transgéniques) dans de multiples études. Dans une étude clé, la co-expression des antigènes LT et petit T (sT) tronqués du MCPyV avec la reprogrammation cellulaire induite par l’ATOH1 et la délétion de p53 a conduit à une augmentation significative de l’incidence des tumeurs ressemblant étroitement au CCM humain8. L’expression conditionnelle de l’antigène sT, combinée à la délétion de p53 chez les souris UbcCreERT2 ; ROSAsT ; p53flox/flox a entraîné le développement de tumeurs de haut grade dans la rate et le foie9. Une augmentation significative de l’incidence des papillomes épidermoïdes spontanés a été observée chez les souris K14Cre-MCPyV168 et MCPyV-RbWT par rapport aux témoins10.

Il existe des indications « fortes » que le MCPyV présente des caractéristiques clés des cancérogènes chez les humains exposés et dans les systèmes expérimentaux. Chez les humains exposés, l’intégration clonale du MCPyV avec une mutation tronquante dans le gène LT a été observée de manière constante dans le génome tumoral du CCM MCPyV-positif et contribue à endommager l’ADN. Dans les systèmes expérimentaux, le MCPyV sT induit des cassures double brin de l’ADN in vitro, ainsi que la formation de micronoyaux et des cassures chromosomiques in vivo. Il existe des indications consistantes et cohérentes dans les systèmes expérimentaux que le MCPyV favorise la croissance indépendante de l’ancrage et la prolifération en milieu sans sérum dans les fibroblastes humains et de rongeurs. Une transformation épithéliale et une dysplasie ont également été induites chez des souris exprimant les antigènes sT. En outre, le MCPyV sT a activé la voie de signalisation NF-κB pour augmenter la survie cellulaire, la prolifération et l’absorption de glucose dans les cellules humaines.

Le CVMH est un β-herpèsvirus à ADN linéaire double brin, qui peut être transmis par les fluides corporels tels que la salive, le sang, l’urine, le sperme et le lait maternel, ainsi que de la mère au fœtus pendant la grossesse. Le CVMH provoque une infection à vie caractérisée par deux phases principales : l’infection lytique et la latence avec des réactivations sporadiques. Dans la population générale, la primo-infection au CVMH est le plus souvent asymptomatique ou provoque une maladie bénigne de type mononucléose. Les réactivations du CVMH chez les personnes immunodéprimées contribuent à la morbidité liée au CVMH. La séroprévalence mondiale a été estimée à 83 % pour la population générale. En général, la prévalence est plus élevée dans les pays d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie du Sud. L’infection peut survenir à tout âge, mais elle est plus fréquente pendant l’enfance, et la prévalence augmente avec l’âge. En outre, l’infection congénitale à cytomégalovirus, qui survient dans environ 0.7 % des naissances vivantes, est la cause virale la plus fréquente de perte auditive neurosensorielle et de handicaps neurologiques chez les nouveau-nés.

Il existe des indications « limitées » chez l’humain que le CVMH provoque une leucémie lymphoblastique aiguë (LLA) chez l’enfant. Les études les plus instructives concordaient globalement avec un risque accru de LLA chez les enfants dont les échantillons sanguins néonataux conservés étaient positifs à l’ADN du CVMH11 ou dont les mères étaient séropositives aux IgM pendant la grossesse12. Des incertitudes subsistaient quant à la précision des estimations de l’étude et à la possibilité de facteurs de confusion non mesurés. Pour d’autres types de cancer, notamment le gliome, les indications étaient « insuffisantes ».

Les indications mécanistiques indiquant que le CVMH présente les caractéristiques clés des agents cancérogènes étaient « limitées ». Bien que la littérature ait couvert un grand nombre de paramètres relatifs à ces caractéristiques clés, des questions demeuraient quant à l’interprétation des études, ainsi que des incohérences entre des études de conception similaire. Une petite minorité du Groupe de travail a estimé que les indications mécanistiques étaient « fortes », concluant que les indications en faveur de l’induction d’altérations épigénétiques et de l’immortalisation cellulaire étaient consistantes et cohérentes, et appuyaient une classification du CVMH en Groupe 2A. Les données relatives au cancer chez l’animal de laboratoire ont été jugées « insuffisantes ».

Centre international de Recherche sur le Cancer, Lyon, France

Lancet Oncol 2025

Article en anglais publié en ligne le 27 juin 2024 : https://doi.org/10.1016/S1470-2045(25)00403-6

DA déclare avoir fourni des services de conseil à Gilead Sciences en 2024, qui représentaient moins de 2 % de son salaire. Tous les autres auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Margaret R Karagas, John Kaldor, Martin Michaelis, Mazvita M Muchengeti, Dulce Alfaiate, Ilona Argirion, Xiaohua Chen, Celso Cunha, Sébastien Hantz, Virve Koljonen, Hélène C Laude, Weng-Onn Lui, Michael M Nevels, Thomas R O’Brien, Michael E Scheurer, Antoine Touze, Joseph L Wiemels, Lamia Benbrahim-Tallaa, Aline de Conti, Caterina Facchin, Federica Madia, Elisa Pasqual, Roland Wedekind, Inmaculada Aguilera-Buenosvinos, Gary Clifford, Xiaobei Deng, Rachmad A Dongoran, Sarra Ezzemni, Yue Huang, Eero Suonio, Yue Zhai, Heidi Mattock, Mary K Schubauer-Berigan*, Andrew T Kunzmann*

*Co-auteurs principaux

Membres du Groupe de travail de la Monographie du CIRC

MR Karagas (Etats-Unis) – Président de la réunion ; J Kaldor (Australie) ; M Michaelis (Royaume-Uni) ; MM Muchengeti (Afrique du Sud) – Vice-Présidents de la réunion ; D Alfaiate (Suisse) ; I Argirion (Etats-Unis) ; XH Chen (Chine) ; C Cunha (Portugal) ; S Hantz (France) ; V Koljonen (Finlande) ; HC Laude (France) ; W-O Lui (Suède) ; MM Nevels (Royaume-Uni) ; TR O’Brien (Etats-Unis) ; ME Scheurer (Etats-Unis) ; A Touzé (France) ; JL Wiemels (Etats-Unis).

Déclaration d’intérêts

DA est membre d’un comité directeur chargé d’évaluer les tests de dépistage du VIH, du VHB et du VHC réalisés par des associations communautaires en France, avec le soutien de Gilead Sciences, et a perçu des frais de déplacement pour assister au congrès de la Société française du sida et présenter les résultats lors dudit congrès. Tous les autres membres du Groupe de travail déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Spécialistes invités

Aucun

Représentants

M Berraho, Institut de Recherche sur le Cancer, Maroc (excusé) ; M Alves Soares, Institut national du cancer du Brésil, Brésil ; TK Lam, National Cancer Institute, Etats-Unis

Déclaration d’intérêts

Tous les représentants déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Observateurs

Aucun

Secrétariat du CIRC

I Aguilera-Buenosvinos ; L Benbrahim-Tallaa ; G Clifford : A de Conti ; X Deng ; RA Dongoran ; S Ezzemni ; C Facchin ; Y Huang, AT Kunzmann ; F Madia ; HK Mattock ; E Pasqual ; MK Schubauer-Berigan ; E Suonio ; R Wedekind ; Y Zhai.

Déclaration d’intérêts

Les membres du Secrétariat déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Prochaines réunions

28 octobre–4 novembre 2025 : Volume 140 : Atrazine, alachlore et vinclozoline

3–10 mars 2026 : Tris(chloropropyl)phosphate, butyraldéhyde et cumyl hydroperoxyde

9–16 juin 2026 : Phtalate de butylbenzyle, phtalate de dibutyle et phtalate de diisononyle

 

Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir :

https://monographs.iarc.who.int/agents-classified-by-the-iarc/

Pour le Préambule aux Monographies du CIRC, voir :

https://monographs.iarc.who.int/wp-content/uploads/2019/07/Preamble-2019.pdf

Pour les déclarations d’intérêts faites au CIRC, voir :

https://monographs.iarc.who.int/wp-content/uploads/2025/06/06a-Final_Short_List-of-Participants_139.pdf

 

Clause de non-responsabilité

Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement les décisions, la politique ou les points de vue de leurs institutions respectives.

 

Pour aller plus loin

L’autorisation pour la traduction des documents « Questions et Réponses » et « Infographie » pour la Monographie Volume 139 – Cancérogénicité du virus de l’hépatite D, du cytomégalovirus humain et du polyomavirus à cellules de Merkel a été accordée en 2025 par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), qui reste le détenteur des droits d’auteur de la version originale. L’autorisation de traduction en français a été accordée par le détenteur des droits d’auteur au Centre Léon Bérard, qui détient les droits de la traduction et est seul responsable de celle-ci. Les conditions d’utilisation des contenus produits par le CIRC sont disponibles ici.

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Voir Infographie (Version française)

    Références

    1 International Agency for Research on Cancer. Volume 139: Hepatitis D virus, human cytomegalovirus and Merkel cell polyomavirus. Lyon, France; June 3–10, 2025. IARC Monogr Identif Carcinog Hazards Hum (In press).

    2 Stockdale AJ, Kreuels B, Henrion MYR, et al. The global prevalence of hepatitis D virus infection: Systematic review and meta-analysis. J Hepatol 2020; 73: 523–32.

    3 Béguelin C, Atkinson A, Boyd A, et al. Hepatitis delta infection among persons living with HIV in Europe. Liver Int 2023; 43: 819–28.

    4 Roulot D, Layese R, Brichler S, et al. Hepatitis D virus infection markedly increases the risk of hepatocellular carcinoma in patients with viral B cirrhosis. Clin Gastroenterol Hepatol 2024; published online Oct 24. https://doi. org/10.1016/j.cgh.2024.08.046.

    5 Romeo R, Foglieni B, Casazza G, et al. High serum levels of HDV RNA are predictors of cirrhosis and liver cancer in patients with chronic hepatitis delta. PLoS One 2014; 9: e92062.

    6 Faust H, Andersson K, Ekström J, et al. Prospective study of Merkel cell polyomavirus and risk of Merkel cell carcinoma. Int J Cancer 2014; 134: 844–48.

    7 Sastre-Garau X, Peter M, Avril MF, et al. Merkel cell carcinoma of the skin: pathological and molecular evidence for a causative role of MCV in oncogenesis. J Pathol 2009; 218: 48–56.

    8 Verhaegen ME, Harms PW, Van Goor JJ, et al. Direct cellular reprogramming enables development of viral T antigen-driven Merkel cell carcinoma in mice. J Clin Invest 2022; 132: e152069.

    9 Shuda M, Guastafierro A, Geng X, et al. Merkel cell polyomavirus small T antigen induces cancer and embryonic Merkel cell proliferation in a transgenic mouse model. PLoS One 2015; 10: e0142329.

    10 Spurgeon ME, Liem A, Buehler D, et al. The Merkel cell polyomavirus T antigens function as tumor promoters in murine skin. Cancers (Basel) 2021; 13: 222.

    11 Francis SS, Wallace AD, Wendt GA, et al. In utero cytomegalovirus infection and development of childhood acute lymphoblastic leukemia. Blood 2017; 129: 1680–84.

    12 Lehtinen M, Koskela P, Ogmundsdottir HM, et al. Maternal herpesvirus infections and risk of acute lymphoblastic leukemia in the offspring. Am J Epidemiol 2003; 158: 207–13

Auteur : Traduction du Département Prévention Cancer Environnement du Centre Léon Bérard

Relecture : Section des Monographies, CIRC ; Groupe Communication, CIRC

Mise à jour le 22 déce. 2025

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