Présentation
En février-mars 2025, un Groupe de travail composé de 20 chercheurs de 16 pays s’est réuni au Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) à Lyon, en France, pour finaliser son évaluation de la cancérogénicité de l’essence automobile et de certains additifs oxygénés.
L’essence automobile (ci-après dénommée « essence ») a été classée comme « cancérogène pour l’humain » (Groupe 1) sur la base d’indications « suffisantes » de cancer chez l’humain et de la combinaison d’indications « suffisantes » de cancer chez l’animal de laboratoire et d’indications mécanistiques « fortes » chez les humains exposés. Le méthyl tert-butyle éther (MTBE) et l’éthyl tert-butyl éther (ETBE) ont tous deux été classés comme « peut-être cancérogènes pour l’humain » (Groupe 2B) sur la base d’indications « suffisantes » de cancer chez l’animal de laboratoire et également (pour l’ETBE) d’indications mécanistiques « fortes » dans les systèmes expérimentaux. L’alcool tert-butylique (TBA), l’éther diisopropylique (DIPE) et le tert-amyl méthyl éther (TAME) ont tous été évalués comme « non classifiables quant à leur cancérogénicité pour l’humain » (Groupe 3). Ces évaluations seront publiées dans le volume 138 des Monographies du CIRC1.
L’essence, un produit commercial, est un mélange complexe principalement utilisé dans les moteurs à combustion interne. Les composants typiques de l’essence sont des hydrocarbures volatils dérivés du pétrole, notamment des alcanes, des alcènes et des composés aromatiques (principalement C5-C10), qui sont mélangés à divers additifs. La composition de l’essence a évolué au fil du temps. L’exposition à l’essence est évaluée en mesurant ses composants (par exemple, le benzène) et leurs métabolites dans l’air, le sang et l’urine. L’exposition professionnelle et celle de la population générale se produisent principalement par inhalation de vapeur d’essence. L’exposition professionnelle survient principalement lors de la production et du transport de l’essence et lors du ravitaillement des véhicules, et concerne des professions telles que les travailleurs des raffineries, les conducteurs de camions-citernes, les mécaniciens et les employés de stations-service. Cette évaluation n’inclut pas les gaz d’échappement des moteurs ; cependant, une co-exposition aux gaz d’échappement des moteurs diesel et à essence peut se produire dans certains de ces environnements de travail. Par rapport à la population générale, les employés de stations-service sont exposés à des niveaux plus élevés d’essence et à des niveaux similaires de gaz d’échappement. Peu de données sont disponibles sur l’absorption, la distribution et l’excrétion de l’essence, mais la plupart des composants individuels de l’essence sont absorbés par inhalation et par voie cutanée, redistribués dans divers organes, puis principalement exhalés ou excrétés par l’urine.
Depuis la précédente classification de l’essence comme « peut-être cancérogène pour l’humain » en 1988 (Volume 45), de nombreuses études ont examiné l’association entre l’exposition à l’essence et le cancer chez l’humain et l’animal de laboratoire, ainsi que les indications mécanistiques sous-jacentes.
Il existe des indications « suffisantes » chez l’humain que l’essence provoque le cancer de la vessie et la leucémie myéloïde aiguë (LMA) chez les adultes. Des augmentations cohérentes de l’incidence du cancer de la vessie et de la LMA a été observée dans des études de cohorte professionnelle et des études cas-témoins menées auprès d’employés de stations-service, de travailleurs de la distribution d’essence2 et dans des études évaluant spécifiquement l’exposition à l’essence3. Les méta-analyses du Groupe de travail combinant ces études ont révélé des taux élevés d’incidence du cancer de la vessie (n = 16, rapport de risque relatif [RR] 1,31 ; IC à 95 % 1,14–1,51) et d’incidence ou de mortalité par LMA chez les adultes (n = 5, RR 1,51 ; IC à 95 % 1,06–2,16). Les études indiquant une incidence accrue des syndromes myélodysplasiques (SMD) ont été jugées utiles pour l’évaluation de la LMA, car les SMD évoluent souvent vers la LMA, mais les indications étaient « limitées » pour un rôle causal de l’essence dans les SMD eux-mêmes. Les préoccupations relatives à la confusion avec le tabagisme ou les gaz d’échappement ont été écartées, car l’incidence ou la mortalité par cancer du poumon n’était généralement pas élevée dans les études disponibles. Il existait également des indications « limitées » que l’essence provoque des lymphomes non hodgkiniens (y compris la leucémie lymphoïde chronique), du myélome multiple et des cancers de l’estomac et du rein ; pour ces types de cancer, le hasard et les biais ne pouvaient pas être exclus. Il existait des indications « limitées » que l’essence provoque la leucémie lymphoblastique aiguë (LLA) chez l’enfant. Des études sur l’exposition des parents à l’essence ont indiqué une incidence accrue de LLA chez les enfants, bien que le biais de mémoire et le hasard ne puissent pas être exclus. Des études utilisant les registres d’adresses résidentielles ont indiqué une incidence accrue de leucémie chez les enfants vivant à moins de 150 m d’une station-service, mais trop peu d’entre elles ont fait la distinction entre les différents types de leucémie.
L’indication « suffisante » de cancer chez l’animal de laboratoire après administration d’essence était basée sur une augmentation de l’incidence d’adénomes ou de carcinomes (combinés) des cellules tubulaires rénales chez les rats Fischer 344 mâles4, d’adénomes ou de carcinomes hépatocellulaires (combinés) chez les souris B6C3F1 femelles5, de carcinomes rénaux ainsi que de carcinomes, adénomes ou sarcomes rénaux (combinés) chez les rats Fischer 344 mâles5; et des tumeurs malignes totales de la cavité nasale chez les rats Sprague-Dawley mâles. De nombreuses études menées auprès d’employés de stations-service ont montré des indications cohérentes et consistantes que l’essence est génotoxique6 et induit un stress oxydatif6,7 et une inflammation chronique6,7. Une augmentation significative de la formation de micronoyaux dans les lymphocytes du sang périphérique et les cellules exfoliées buccales a été observée chez les employés de stations-service, en corrélation avec l’exposition à certains composants de l’essence et la durée d’exposition. Les employés de stations-service présentaient également des niveaux élevés de dommages oxydatifs à l’ADN et une altération des systèmes de défense antioxydants. Les mêmes études ont également montré qu’une exposition chronique à l’essence induisait une réponse inflammatoire systémique corrélée à la durée de l’exposition. Il y avait également des indications suggestives que l’essence induit des altérations épigénétiques, une immunosuppression et des altérations hormonales chez les employés de stations-service. Dans des systèmes expérimentaux, l’essence a induit un stress oxydatif (associé à des réactions inflammatoires) et altéré la prolifération cellulaire dans le foie de souris femelles et dans les reins de rats mâles.
Le MTBE, l’ETBE, le TBA, le TAME et le DIPE sont des composés volatils utilisés comme additifs oxygénés dans l’essence afin d’augmenter l’efficacité de la combustion, en particulier depuis l’élimination du plomb. Tous, à l’exception du TAME, sont répertoriés comme des substances chimiques a production élevée. Le MTBE et l’ETBE ont été les additifs les plus largement utilisés dans l’essence, à des concentrations pouvant atteindre 15 % et 22 %, respectivement. Bien qu’ils ne soient plus ajoutés à l’essence aux Etats-Unis, le MTBE et l’ETBE sont actuellement utilisés en Europe, en Asie et ailleurs. Les travailleurs peuvent être exposés lors de la production des additifs ou par les vapeurs d’essence contenant ces additifs. L’exposition professionnelle a été mesurée chez les travailleurs des navires et des wagons-citernes, les réparateurs et inspecteurs de pompes à essence, les employés de stations-service et les mécaniciens automobiles. La population générale est principalement exposée par les vapeurs d’essence dans les stations-service, par la pollution atmosphérique ou par l’eau et le sol contaminés par des déversements d’essence.
Le MTBE, l’ETBE et le TBA sont facilement absorbés, partiellement exhalés et distribués dans l’organisme. Le MTBE et l’ETBE sont métabolisés en TBA, qui est soit conjugué, soit métabolisé davantage, puis finalement excrété dans l’urine. Les indications « suffisantes » de cancer chez l’animal de laboratoire après administration de MTBE étaient basées sur une augmentation de l’incidence des adénomes hépatocellulaires et des adénomes ou carcinomes hépatocellulaires (combinés) chez les souris CD-1 femelles8, des adénomes ou carcinomes (combinés) des cellules tubulaires rénales chez les rats Fischer 344 mâles8 et des astrocytomes cérébraux chez les rats Wistar mâles9. Les indications mécanistiques étaient « limitées » dans différents systèmes expérimentaux.
Les indications « suffisantes » de cancer chez l’animal de laboratoire après administration d’ETBE étaient basées sur une augmentation de l’incidence du schwannome utérin chez les rats Sprague-Dawley par gavage10 et de l’adénome hépatocellulaire avec un seul cas de carcinome hépatocellulaire à la dose la plus élevée testée chez les rats Fischer mâles par inhalation11. De plus, il existait des indications cohérentes et consistantes que l’ETBE induit une prolifération cellulaire dans le foie de souris et de rats et une hyperplasie urothéliale chez les rats.
Les indications « limitées » chez l’animal de laboratoire concernant la cancérogénicité du TBA étaient basées sur une augmentation de l’incidence des néoplasmes malins ainsi que de la combinaison de néoplasmes bénins ou malins chez un sexe (masculin) d’une seule espèce (rat). Pour le DIPE, les indications « limitées » de cancer chez l’animal de laboratoire étaient fondées sur une augmentation de l’incidence des néoplasmes malins chez un sexe (mâle) d’une seule espèce (rat). Pour le TAME, les indications de cancer chez l’animal de laboratoire et les indications mécanistiques étaient « insuffisantes ». Pour tous les additifs à l’essence, les indications de cancer chez l’humain étaient « insuffisantes » car aucune étude n’était disponible.
Centre international de Recherche sur le Cancer, Lyon, France
Lancet Oncol 2025
Article en anglais publié en ligne le 21 mars 2025 : https://doi.org/10.1016/ S1470-2045(25)00165-2
JK indique que son organisation reçoit un financement partiel (dans le cadre d’un mandat légal) de l’industrie pétrolière. Tous les autres auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Michelle C Turner, Lode Godderis, Pascal Guénel, Nancy Hopf, Betzabet Quintanilla-Vega, Sheila C Soares-Lima, Sunisa Chaiklieng, Juliana Da Silva, Silvia Fustinoni, Min Gi, Julia E Heck, François Huaux, Gunnar Johanson, Jorunn Kirkeleit, Kirill Kirsanov, Lorenzo Richiardi, João Paulo Teixeira, Andrea Terron, Jan Topinka, Mary C White, Lamia Benbrahim-Tallaa, Caterina Facchin, Andrew Kunzmann, Federica Madia, Elisa Pasqual, Roland Wedekind, Xiaobei Deng, Eero Suonio, Susana Viegas, Abdoulaye Barry, Roya Dolatkhah, Rachmad A Dongoran, Esther M Gonzalez-Gil, Felix M Onyije, Heidi Mattock, Aline de Conti*, Mary K Schubauer-Berigan*
*Co-auteurs principaux
Membres du Groupe de travail de la Monographie du CIRC
MC Turner (Espagne) – Président de la réunion ; L Godderis (Belgique) ; P Guénel (France) ; N Hopf (Suisse) ; B Quintanilla-Vega (Mexique) ; SC Soares-Lima (Brésil) – Vice-Présidents de la réunion ; S Chaiklieng (Thaïlande) ; J Da Silva (Brésil) ; S Fustinoni (Italie) ; M Gi (Japon) ; JE Heck (Etats-Unis) ; F Huaux (Belgique) ; G Johanson (Suède) ; J Kirkeleit (Norvège) ; K Kirsanov (Fédération de Russie) ; L Richiardi (Italie) ; JP Teixeira (Portugal) ; A Terron (Italie) ; J Topinka (République tchèque) ; MC White (Etats-Unis).
Déclaration d’intérêts
JK est un collaborateur dans le cadre d’une subvention au Registre du cancer de Norvège qui reçoit, par mandat statutaire, 20 % de son financement de l’industrie pétrolière et 80 % de sources gouvernementales. Les fonds ont été administrés par le Conseil de la recherche de Norvège, sans participation de l’industrie et sans soutien au salaire de JK ou à d’autres salaires du Registre du Conseil de Norvège. AT a agi en tant que consultant en pathologie, avec des honoraires perçus, pour des organisations de recherche sous contrat (Evotec et Accelera) sur des sujets sans rapport avec les agents évalués lors de cette réunion. Tous les autres membres du Groupe de travail ne déclarent aucun conflit d’intérêt.
Spécialistes invités
Aucun
Représentants
MA Al-Asiri, National Cancer Centre, Arabie Saoudite ; M Berraho, Institut de Recherche sur le Cancer, Maroc (excusé).
Déclaration d’intérêts
Tous les représentants déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Observateurs
D Hoel, Medical University of South Carolina (retraité), Etats-Unis ; G Pizzella, Eni, Italie ; E Rushton, Global Toxicology and Risk Communication, Pays-Bas ; A Stock, J S Held LLC, Etats-Unis.
Déclaration d’intérêts
DH a reçu des frais de déplacement pour assister à la réunion, payés par Exxon-Mobil, une entreprise multinationale américaine du pétrole et du gaz. GP est un employé à temps plein d’Eni. ER est toxicologue pour une entreprise qui produit du MTBE, de l’ETBE et du TBA. Il perçoit un salaire et possède des actions de la société et il a reçu des fonds pour se rendre à la réunion. Les frais de déplacement d’AS pour assister à la réunion ont été couverts par l’American Petroleum Institute et l’American Fuel & Petrochemical Manufacturers.
Secrétariat du CIRC
A Barry ; L Benbrahim-Tallaa ; A de Conti ; X Deng ; R Dolatkhah ; RA Dongoran ; C Facchin ; EM Gonzalez-Gil ; A Kunzmann ; F Madia ; H Mattock ; FM Onyije ; E Pasqual ; MK Schubauer-Berigan ; E Suonio ; S Viegas ; R Wedekind.
Déclaration d’intérêts
Les membres du Secrétariat déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Prochaines réunions
3–10 juin 2025 : Volume 139 : Virus de l’hépatite D, cytomégalovirus humain et polyomavirus à cellules de Merkel.
28 octobre–4 novembre 2025 : Volume 140 : Atrazine, alachlore et vinclozoline.
3–10 mars 2026 : Volume 141 : Tris(chloropropyl)phosphate, butyraldehyde et cumyl hydroperoxide
Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir : https://monographs.iarc.who.int/
Pour le Préambule aux Monographies du CIRC, voir : https://monographs.iarc.who.int/wp-content/uploads/2019/07/Preamble-2019.pdf
Pour les déclarations d’intérêts faites au CIRC, voir : https://monographs.iarc.who.int/wp-content/uploads/2024/01/ Short_list_of_participants_138.pdf
Clause de non-responsabilité
Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement les décisions, la politique ou les points de vue de leurs institutions respectives.
Pour aller plus loin
L’autorisation pour la traduction des documents « Questions et Réponses » et « Infographie » pour la Monographie Volume 138 – Cancérogénicité de l’essence automobile et de certains additifs oxygénés a été accordée en 2025 par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), qui reste le détenteur des droits d’auteur de la version originale. L’autorisation de traduction en français a été accordée par le détenteur des droits d’auteur au Centre Léon Bérard, qui détient les droits de la traduction et est seul responsable de celle-ci. Les conditions d’utilisation des contenus produits par le CIRC sont disponibles ici.