Perturbateurs endocriniens et risques de cancer

Perturbateurs endocriniens : santé, cancer et prévention

Le saviez-vous ?

Les perturbateurs endocriniens (PE) sont « des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle étrangères à l’organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets délétères sur cet organisme ou sur ses descendants »

Les sources d’exposition de la population générale aux PE sont principalement l’eau et l’alimentation, mais aussi l’air et certains produits industriels (médicaments, cosmétiques, produits phytosanitaires…).

L’estimation des effets des PE sur la santé humaine est rendue très difficile en raison de nombreuses interrogations sur leurs mécanismes d’action, la multiplicité des substances concernées et des voies d’exposition, l’exposition à de faibles doses, dans la durée ou à des périodes critiques du développement (notamment in utero, enfance, puberté, grossesses, allaitement et transition ménopausique).

Le rôle de plusieurs substances PE est à ce jour suspecté dans le développement de cancers hormono-dépendants (par exemple : cancer du sein, de l’utérus, de la prostate et des testicules). Certaines substances classées comme PE, comme les dioxines, les PFAS ou le cadmium, sont également des cancérogènes avérés. Toutefois, les données actuellement disponibles ne permettent pas de confirmer un lien direct entre perturbation endocrinienne et cancer.

Les PE sont également suspectés d’être à l’origine d’autres pathologies chroniques ou développementales tels que les troubles hormonaux et leurs conséquences (infertilité, puberté précoce, obésité, maladie thyroïdienne...), mais aussi de malformations congénitales, et même des troubles de l’immunité.

Présentation

Le système endocrinien, ou système hormonal est « un ensemble de glandes et de cellules qui fabriquent des hormones et qui les libèrent dans le sang. Les hormones sont des substances naturelles qui agissent comme des messagers chimiques entre différentes parties du corps. Elles contrôlent ainsi de nombreuses fonctions dont la croissance, la reproduction, la fonction sexuelle, le sommeil, la faim, l’humeur et le métabolisme » (Société Canadienne du Cancer).

Représentation du système endocrinien. Source : INCa 2023

Représentation du système endocrinien. Source : INCa 2023

D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, les perturbateurs endocriniens (PE) sont définis comme des substances ou mélange de substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle étrangères à l’organisme. Elles peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire des effets néfastes sur l’organisme d’un individu ou sur ses descendants (Santé Publique France, 2022).

Une définition applicable au domaine pharmaceutique, a été adoptée au niveau européen en 2017. Une substance peut être identifiée comme PE si elle a un mode d’action qui impacte les fonctions du système endocrinien, si elle produit un effet néfaste chez un organisme sain ou sur sa progéniture et si cet effet est directement lié au mode d’action (Anses, 2019).

Les substances perturbatrices endocriniennes (PE) peuvent perturber le système hormonal de différentes manières (Multigner, 2007).

  • En imitant l’action d’une hormone naturelle ;
  • En se fixant sur les récepteurs hormonaux ;
  • En bloquant ou en modifiant la production, la régulation ou l’action des hormones, entraînant un déséquilibre hormonal.

Certaines de ces substances sont lipophiles (solubles dans les graisses) et peuvent s’accumuler dans le tissu adipeux, avec un risque de bioaccumulation sur la chaîne alimentaire. Ainsi, il est possible de doser les PE dans le sang, le tissu adipeux, le lait maternel, le liquide amniotique, le sang du cordon ou les urines.

NB : Cette fiche est une introduction générale à la problématique des perturbateurs endocriniens et leur relation avec le risque de cancer. Des fiches spécifiques sont disponibles pour certaines substances.

  • Les perturbateurs endocriniens dans notre environnement

    Le caractère perturbateur endocrinien peut concerner une grande variété de substances, d’origines très diverses. En conséquence, les sources d’exposition sont nombreuses et très variées, ce qui rend cette exposition quasi quotidienne. On distingue notamment :

    • Les hormones de synthèse, produites intentionnellement, notamment à des fins médicales. Exemples : contraceptifs ou traitements hormonaux ;
    • Les substances chimiques de synthèse utilisées dans de nombreux produits ou procédés, sans que leur effet sur le système hormonal ait été initialement recherché. Exemples : pesticides organochlorés, herbicides, certains plastifiants (bisphénol A, certains phtalates), dioxines ou apparentés (polychhlorobyphényles ou PCB), hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), retardateurs de flamme, etc.
    • Les substances d’origine naturelle, comme certains composés présents dans les plantes (phyto-œstrogènes) ou des toxines produites par des champignons (mycotoxines).
    • Certains métaux et métalloïdes, naturellement présents dans l’environnement ou issus d’activités humaines, qui peuvent perturber le système endocrinien. Exemples : cadmium, plomb, mercure…

    Voici un résumé des principales familles de perturbateurs endocriniens et leurs sources de contamination (ou exposition) associées les plus fréquentes :

    Familles de PE et sources de contamination associées. Infographie du Centre Léon Bérard, données de l’INCa, 2023

    Familles de PE et sources de contamination associées. Infographie du Centre Léon Bérard, données de l’INCa, 2023.

    En 2021, l’Anses publie une liste de 906 substances identifiées comme PE. Une classification a ensuite été réalisée pour distinguer les PE « avérés », « présumés » ou encore « suspectés » avec des critères de hiérarchisation (Anses, 2021).

  • Exposition aux perturbateurs endocriniens

    Les voies de contamination

    Il existe cinq voies d’exposition possibles (Weissmann, 2021) :

    • La voie digestive : ingestion par l’eau, l’alimentation, les emballages et contenants alimentaires, les produits pharmaceutiques…
    • La voie respiratoire : inhalation de particules (peintures, matériaux, produits d’entretien, cosmétiques, pesticides, etc.)
    • La voie cutanée : absorption par contact (produits cosmétiques, pharmaceutiques, pesticides, textiles, etc)
    • La voie parentérale (dispositifs médicaux)
    • La voie fœto-placentaire et l’allaitement : transmission de la mère à l’enfant pendant la grossesse ou l’allaitement.

    Population générale

    Pour la population générale, l’exposition se fait principalement par (Anses, 2024 ; Inserm, 2018) :

    • l’alimentation (par migration des substances depuis les emballages ou contamination des sols des cultures, résidus hormonaux dans la viande),
    • l’eau,
    • l’air,
    • les cosmétiques.

    Cependant, en dehors des accidents (explosion en 1976 d’une usine chimique à Seveso, en Italie, ayant rejeté une dose très importante de dioxines par exemple), l’exposition aux PE de la population générale concerne de faibles doses de façon continue.

    Périodes de vulnérabilité

    L’exposition aux PE est néfaste pour la population générale mais les effets peuvent être majeurs lorsqu’ils surviennent pendant des périodes de sensibilité critiques (enfance, puberté, grossesse, allaitement, transition ménopausique…) (Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, 2023).

    Exposition professionnelle

    Les expositions professionnelles sont, comme en population générale, le plus souvent multiples, mais à des doses plus importantes que dans la population générale (INRS, 2021). Plusieurs secteurs professionnels sont concernés, tant au niveau de la production que de l’utilisation : agriculture (manipulation de pesticides), industries pharmaceutiques (production d’hormones) et chimique (fabrication des pesticides, matières plastiques), etc.

  • Perturbateurs endocriniens et cancer

    Les effets des PE sur la santé humaine sont encore en discussion à ce jour. Néanmoins, un certain nombre d’affections sont aujourd’hui suspectées d’être la conséquence d’exposition aux PE sur :

    • Le système reproducteur masculin : cryptorchidie, malformations, baisse de la testostérone, puberté précoce
    • Le système reproducteur féminin : augmentation de la fréquence d’anomalies du développement du tractus génital, endométriose, puberté précoce
    • L’augmentation de diverses anomalies : pathologies métaboliques, obésité, diabète insulinodépendant, prématurité, troubles du système nerveux, hyperactivité…

    Enfin, le rôle des PE est aussi suspecté pour les cancers dont le développement est influencé par des mécanismes hormonaux, autrement dit, les cancers hormono-dépendants (Gore, 2015).

    En population générale

    Certaines substances PE sont connues pour leurs effets avérés ou suspectés dans l’apparition de cancers hormono-dépendants (sein, utérus, prostate, testicule). Parmi ceux-ci, on peut lister :

    Chlordécone 

    Insecticide organochloré utilisé dans les Antilles jusqu’aux années 1990, il est persistant dans l’environnement et bioaccumulable (eaux, sols, aliments d’origine végétale ou animale). Il est classé peut-être cancérogène pour l’humain (Groupe 2B) par le CIRC. De récentes études montrent une relation entre exposition au chlordécone et la survenue du cancer de la prostate (Anses, 2024), mais le lien de causalité reste encore à établir. Un état des lieux du cancer de la prostate aux Antilles françaises a révélé une incidence et mortalité plus élevées qu’en France métropolitaine mais en accord avec les origines africaines de la majorité de la population. D’autres études devront approfondir l’identification des déterminants des facteurs de risque de survenue et d’agressivité au diagnostic du cancer mais également les déterminants de son évolution clinique (Multigner, 2016). Les cancers de la prostate provoqués par les pesticides, dont le chlordécone, sont reconnus comme maladie professionnelle depuis le 22 décembre 2021 (Gouvernement.fr, 2021).

    Contraceptifs oraux estroprogestatifs 

    Ils sont associés à une augmentation du risque de cancer du sein et du cancer du col de l’utérus. Les risques seraient associés à une prise de contraception orale pendant plus de 8 ans. Il est important de noter que la pilule à base de progestatifs uniquement ne semble pas concernée par ce risque de cancer (Inca, 2023).

    Diéthylstilbestrol (Distilbène® ou DES) 

    Prescrit dans les années 1950-1960 pour prévenir des arrêts spontanés de grossesse, il a été interdit en France en 1977. Des études ont mis en évidence un lien entre l’administration de diéthylstilbestrol à des femmes enceintes et la survenue de cancers du vagin, du sein (Palmer, 2006), du col et de l’utérus chez les filles des mères traitées (Réseau DES France, 2010) mais également des malformations génitales ou des conséquences sur leur fertilité (JO du Sénat, 1992).

    Dioxines

    La dioxine de Seveso (2,3,7,8 TCDD, nommée ainsi suite à l’explosion de l’usine de pesticides ICMESA de Seveso en Italie) est classée cancérogène certain (Groupe 1) pour l’humain par le CIRC. Une relation significative a été mise en évidence entre l’exposition aux anciens incinérateurs d’ordures ménagères et le risque de cancer : on observe une augmentation de la fréquence globale de cancers chez la femme (= tous types de cancers), et en particulier de cancer du sein et les lymphomes malins non hodgkiniens ; les résultats montrent également un excès de risque de myélome multiple chez les hommes (BEH, 2009). Il convient cependant de rappeler que l’exposition à de fortes doses de la dioxine de Seveso représente une situation exceptionnelle puisqu’elle résulte d’un accident. Depuis 2005, les incinérateurs sont soumis à une directive qui prévoit des mesures strictes pour traiter leurs fumées. Des études récentes ont également exploré un lien potentiel avec le cancer de la thyroïde, sans conclusion définitive. Il s’agit d’un facteur de risque suspecté qui confirme la nécessité de réaliser de futures études sur l’humain dont l’exposition aux dioxines dans l’environnement est persistante (Van Gerwen, 2023).

    Une étude sur l’exposition environnementale aux dioxines a fait l’objet de deux sujets de thèse au sein du Département Prévention, Cancer, Environnement du Centre Léon Bérard.

    • La première thèse en expologie environnementale a permis l’inventaire des sources émettrice de dioxines en France et la création d’une métrique d’exposition aux dioxines pour les études épidémiologiques (Coudon, 2019).
    • La seconde thèse en épidémiologie a porté sur l’exposition alimentaire (première source d’exposition) et atmosphérique aux dioxines. Ainsi, l’impact de l’exposition aux dioxines, par l’alimentation, sur le risque de cancer du sein a été évaluée au sein de la cohorte E3N-Générations. La cohorte E3N-Générations est une Etude Epidémiologique auprès de femmes de la MGEN (Mutuelle Générale de l’Education Nationale). Il s’agit d’une enquête de cohorte prospective portant sur environ 100 000 femmes volontaires françaises nées entre 1925 et 1950 et suivies depuis 1990. Cette étude s’intéresse aux relations entre l’apparition des cancers et les caractéristiques individuelles et environnementales des femmes de l’étude. Aucune association n’a été observée, à l’exception d’une diminution du risque de cancer du sein hormono-indépendant, retrouvée de façon significative dans l’étude alimentaire. Cette dernière observation est cohérente avec des données expérimentales. L’exposition atmosphérique aux dioxines a ensuite été étudiée dans le cadre du projet XENAIR. Les résultats des analyses suggèrent une augmentation du risque de cancer du sein associée avec une augmentation de l’exposition aux dioxines (Praud, 2024).

    Formaldéhyde 

    Le formaldéhyde est un cancérogène avéré, impliqué dans le développement de la leucémie et de cancer du nasopharynx.

    HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques)

    Groupe de plus de 100 composés organiques produits lors de la combustion incomplète ou de la pyrolyse de matières organiques. Certains HAP sont classés comme cancérogènes par le CIRC et sont suspectés de pouvoir être liés aux développements de cancers de la peau, du poumon, de la vessie, du foie et de sein (Jubber, 2023 ; Mallah, 2022 ; Rocha, 2021).

    PCB (polychlorobiphényles) 

    Composés organiques de synthèse interdits en France depuis 1987. L’exposition aux PCB semble liée au développement de mélanomes malins. Une association a également été constatée pour l’apparition de lymphome non Hodgkinien et de cancer du sein.

    Phtalates 

    Plastifiants largement utilisés dans des produits de consommation courante (PVC : ballons, nappes, rideaux de douche, anneaux de dentition, colles…). Des études suggèrent un lien avec la survenue de cancers, notamment tumeurs du foie, testiculaires, de la prostate ou encore du sein. Des études plus poussées sont nécessaires pour valider ces associations (Guo, 2023 ; Anses, 2024 ; Inserm 2018 ; Liu, 2021).

    En population professionnelle

    Les effets des perturbateurs endocriniens chez les travailleurs exposés font l’objet d’un nombre croissant d’études. Les expositions dans les secteurs agricoles, chimiques et pharmaceutiques sont souvent plus importantes que dans la population générale.

    Partant du fait que plusieurs perturbateurs endocriniens sont également des pesticides, des études se sont intéressées au lien entre exposition professionnelle aux pesticides et apparition de cancers hormonodépendants chez les agriculteurs (prostate, testicule, sein, ovaire). Bien que les résultats soient souvent divergents, certaines études tendent à montrer une plus forte incidence de cancers hormonodépendants chez les agriculteurs ou agricultrices utilisateurs de pesticides (Alavanja, 2005 ; Buranatrevedh, 2001 ; Ibarluzea, 2004). Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour clarifier le rôle de chacune des molécules potentiellement responsables (certains organochlorés, triazine) dans l’apparition de ces cancers, cette identification n’ayant pas été effectuée lors des recherches précédentes (INRS, 2002).

    • Le projet SIGEXPOSOME, mené par le Centre Léon Bérard en 2016 vise à améliorer la caractérisation de l’exposition aux pesticides en population générale et améliorer les connaissances concernant les paramètres génétiques et biologiques impliques dans la survenue de cancers. Le recrutement des participants volontaires (hommes résidants près d’une zone viticole) s’est effectué en juillet, octobre 2016 et février 2017. La méthodologie a conduit à des prélèvements sanguins et urinaires et de poussières à domicile et à l’utilisation d’un SIG.
    • La cohorte AGRICAN est une étude épidémiologique de grande envergure qui suit depuis 2005 plus de 180 000 affiliés à la Mutualité Sociale Agricole (MSA). Les données collectées ont mis en évidence des associations entre l’exposition aux pesticides, dont certains sont des PE, et une augmentation du risque de certains cancers, notamment de la prostate.

    En 2022, une étude s’est intéressée à l’exposition à 17 perturbateurs endocriniens dans différents milieux professionnels, à partir des données de la cohorte canadienne CanCHEC. L’exposition a été estimée selon les types d’emplois (par exemple : agriculture, industrie chimique, soins de santé, etc.), et six substances ont été associées à un risque modifié de cancer colorectal. Toutefois, la direction des associations (augmentation ou diminution du risque) variait selon les substances étudiées (Pelland-St-Pierre, 2022).

  • Difficultés méthodologiques pour l’évaluation de l’exposition aux perturbateurs endocriniens et de leurs effets sur la santé humaine

    L’évaluation de l’exposition aux PE et de leurs effets sur la santé humaine soulève plusieurs difficultés méthodologiques, qui contribuent à expliquer l’origine de certaines controverses au sujet des PE (Inserm, 2024). Ces difficultés tiennent à la nature même de ces substances et à la complexité de leur action biologique :

    Effets à faibles doses 

    Contrairement aux substances toxiques classiques, les PE peuvent exercer des effets significatifs à de très faibles doses, parfois plus marqués que ceux observés à doses plus élevées. Cela s’explique notamment par leur capacité à interférer avec le système endocrinien selon des relations dose-effet non monotones, similaires à celles observées pour certaines hormones naturelles. Ces effets inattendus complexifient considérablement les évaluations toxicologiques traditionnelles, basées sur des seuils linéaires ou monotones (INRS, 2021).

    Bioaccumulation des PE classés comme polluants organiques persistants

    Certains PE, notamment ceux classés comme polluants organiques persistants, présentent une forte capacité à s’accumuler dans l’organisme, en particulier dans les tissus adipeux. Même lorsque l’exposition externe cesse, ces substances peuvent rester actives dans le corps pendant de longues périodes et continuer à induire des effets délétères. Cette persistance rend difficile l’évaluation des doses réellement actives et des délais d’apparition des effets (INRS, 2021).

    Exposition chronique et effets différés 

    L’exposition aux PE est généralement chronique, via l’air, l’eau, l’alimentation ou les produits de consommation courante. Elle concerne l’ensemble de la population, sur toute la durée de vie. Les effets sanitaires associés (troubles de la reproduction, cancers hormono-dépendants, troubles métaboliques, etc.) peuvent apparaître des années, voire des décennies après l’exposition, ce qui rend l’établissement d’un lien de causalité direct particulièrement difficile.

    L’effet « cocktail »

    Les PE sont rarement présents seuls : ils interagissent souvent entre eux ou avec d’autres substances chimiques, ce qui génère des effets combinés parfois synergiques. Ce phénomène, dit « effet cocktail », complique la prédiction des effets globaux. Une même substance peut également avoir plusieurs modes d’action simultanés, comme c’est le cas de certaines molécules classées à la fois comme mutagènes et perturbateurs endocriniens (Inserm, 2018). Des travaux récents ont permis d’identifier certains mécanismes de synergie, mais ces interactions restent en grande partie mal comprises (Delfosse, 2021).

    Absence de critères d’identification et de normes harmonisées 

    À ce jour, l’absence de critères scientifiques universellement reconnus pour définir et classer un perturbateur endocrinien rend l’évaluation des risques très hétérogène selon les pays ou les instances réglementaires. De plus, il n’existe pas de normes d’exposition harmonisées permettant d’interpréter de manière cohérente les données de toxicité ou d’exposition environnementale (Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, 2023). Cette incertitude réglementaire complique la prise de décision en matière de santé publique et de prévention.

    Le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de 2011, intitulé « Perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution », met en lumière l’importance des modifications épigénétiques dans l’étude des PE. Il souligne que ces altérations, qui n’affectent pas la séquence de l’ADN mais modifient l’expression des gènes, pourraient servir de marqueurs diagnostiques ou pronostiques et offrir de nouvelles perspectives pour les tests de toxicité. Cette approche ouvre des opportunités tant médicales qu’économiques dans la détection et la prévention des effets des PE (Sénat, 2011).

  • Recherche et surveillance

    L’évaluation des risques liés aux perturbateurs endocriniens est aujourd’hui une priorité à la fois en France, en Europe et dans le monde. Plusieurs programmes de recherche et de stratégies ont été mis en place pour renforcer les connaissances et orienter les politiques de réduction des expositions.

    Au niveau mondial et européen

    L’agence américaine pour la protection de l’environnement (US EPA) dispose d’un programme de recherche sur les perturbateurs endocriniens afin d’améliorer leur identification et l’évaluation de leurs effets : l’EDSP (EPA, 2025). En novembre 2010, elle a publié une liste de 134 substances jugées prioritaires (dont des solvants, des plastiques, des produits de soins corporels, etc.).

    En Europe, le CREDO cluster est le groupe de recherche européen sur les PE. Il a été lancé en 2003 pour répondre à la demande de la commission européenne. Il a réuni 4 projets de recherches (EDEN, FIRE, EURORISK, et COMPRENDO) dont les principaux objectifs sont : la mise au point de tests et de dosages pour déceler toute activité perturbant le système endocrinien dans les produits chimiques, la mise au point de méthodologies d’essai et de stratégies d’évaluation, notamment des effets des PE sur les organes non reproducteurs (organes régulés par le système endocrinien).

    Le cluster EURION regroupe 8 projets de recherche financés par l’Union Européenne pour améliorer l’identification des perturbateurs endocriniens. Il développe des méthodes de test innovantes (in vitro, in silico…) ciblant différents effets hormonaux (reproduction, métabolisme, thyroïde, cerveau). Objectif : mieux détecter et réguler ces substances.

    De plus, en novembre 2010, l’EFSA a publié un rapport scientifique suite à la réunion d’un groupe de travail sur les PE visant à dresser un état des lieux des connaissances sur les PE et fournir des recommandations sur les enjeux scientifiques associés à ces composés, et d’harmoniser les recherches européennes dans le domaine. Ce rapport conclut sur la nécessité (EFSA, 2010) :

    • D’améliorer la compréhension des expositions à faibles doses ;
    • De créer un groupe de travail européen pour définir les priorités de travail dans le domaine des PE ;
    • D’améliorer la communication à propos des substances PE, notamment en étudiant la perception des risques.

    Au niveau national

    Le Plan National de Recherche sur les Perturbateurs Endocriniens (PNRPE) :

    En France, le PNRPE a été lancé en 2005 par le ministère de l’environnement a pour objectif de développer une communauté de chercheurs sur la thématique des PE (Ministères Transition écologique et Aménagement des Territoires, 2024). Il a entre autres pour objectifs de :

    • Soutenir la recherche concernant le devenir des PE dans l’organisme et dans l’environnement (eau, sol, air et aliments)
    • Favoriser la compréhension de leurs effets sanitaires
    • Identifier les dangers, et évaluer des risques liés aux expositions à ces substances

    Les résultats des premières recherches ont permis de remettre en cause certains principes comme celui de la relation dose-effet : une équipe a montré qu’un impact sanitaire plus fort se produisait avec une dose plus faible de certains PE. Il a par ailleurs été montré que l’impact d’un mélange n’était pas déductible du cumul des effets de chaque substance constituant le mélange (Eustache, 2009). En décembre 2010, le PNRPE a lancé son troisième appel à propositions de projets.

    Le Plan National Santé Environnement (PNSE) :

    Depuis 2004, la France met en place, tous les 5 ans, un Plan National Santé Environnement. Les objectifs de ces programmes sont de réduire l’impact de l’environnement sur la santé, d’assurer une meilleure prise en compte de la santé environnementale sur le territoire et de développer des recherches sur le sujet. Le 4ème PNSE se déroule actuellement depuis 2021 et prendra fin en 2025 (Ministères Transition écologique et Aménagement des territoires, 2023).

    Les objectifs de ce dernier sont :

    • S’informer, se former et informer sur l’état de mon environnement et les bons gestes à adopter pour notre santé et celle des écosystèmes
    • Réduire les expositions environnementales affectant la santé humaine et celle des écosystèmes sur l’ensemble du territoire
    • Démultiplier les actions concrètes menées par les collectivités dans les territoires
    • Mieux connaître les expositions et les effets de l’environnement sur la santé des populations et des écosystèmes

    La Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens (SNPE) :

    En avril 2014, la France a publié sa stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens avec pour objectif la réduction de l’exposition de la population et de l’environnement à ces substances. Cette mise en œuvre s’inscrit dans le 3ème plan national santé-environnement (PNSE3).

    Une deuxième stratégie nationale sur les PE (SNPE 2) dont l’objectif est de réduire l’exposition des populations et de l’environnement aux perturbateurs endocriniens a été mise en place entre 2019 et 2022. A son tour, elle s’articule autour de 3 axes principaux :

    • Former et informer, en particulier aux périodes de vie et situations les plus vulnérables : petite enfance, grossesse et puberté mais également selon l’exposition professionnelle, la localisation géographique ou encore le contexte social.
    • Protéger l’environnement et la population en adoptant une approche « One Health » qui met en lien la santé humaine, animale et environnementale.
    • Améliorer les connaissances sur les PE avec le renforcement de l’évaluation des substances et leur remplacement.

    Cette stratégie est celle qui a permis l’élaboration de la liste de substances considérées comme PE par l’Anses en 2021 (Ministères Transition écologique et Aménagement des territoires, 2021).

  • Prévention primaire : comment se protéger des perturbateurs endocriniens ?

    Il existe de nombreuses recommandations à adopter pour réduire son exposition aux PE (INCa, 2023 ; Ministère de la santé et de la prévention, 2023).

    Concernant l’alimentation

    • Privilégier les aliments d’origine biologique, de saison et locaux.
    • Privilégier la cuisine « faite maison ».
    • Eviter les plats préparés et les produits ultra-transformés qui contiennent des additifs.
    • Utiliser des matériaux adéquats au contact alimentaire : le verre, l’inox, la fonte, le bois non traité (éviter surtout le plastique, les poêles antiadhésives, les bouilloires…).
    • Eviter d’utiliser des contenants en plastique pour faire réchauffer un plat au micro-ondes.

    Concernant l’air intérieur et les produits ménagers

    • Aérer son logement au moins 10 minutes par jour, chaque pièce, été comme hiver. En particulier lors d’activités telles que le bricolage, la cuisine, le ménage, la douche ou le bain.
    • Limiter l’usage en nombre et en quantité des produits d’entretiens, respecter les conditions d’utilisation de ces derniers et limiter l’utilisation de produits en spray.
    • Ne jamais mélanger des produits d’entretien.
    • Préférez les produits ménagers simples avec peu de composants, naturels (vinaigre blanc, bicarbonate de soude, savon noir…).
    • Eviter l’utilisation de pesticides.
    • Ne pas fumer ou vapoter en intérieur ou a minima avec les fenêtres ouvertes.

    Concernant l’hygiène et les cosmétiques

    • Préférer l’utilisation de produits simples comme les huiles ou savons à base végétale, sans parfum.
    • Limiter l’usage de cosmétiques, parfums et maquillages.
    • Eviter les teintures de cheveux.
    • Favoriser les produits à liste d’ingrédients courte.
    • Ne pas utiliser d’huiles essentielles pour les femmes enceintes, allaitantes et les enfants.

    Concernant le mobilier et les travaux

    • Aérer longuement après des travaux.
    • Limiter l’exposition aux produits chimiques, surtout pour les femmes enceintes.
    • Privilégier des peintures, vernis, colles, adhésifs, etc. « sans solvants », étiquetés « A+ ».
    • Pour l’achat de mobilier, privilégier des meubles de seconde main ou l’achat de meubles en bois massif ou certifié sans émanations.
    • Finaliser l’aménagement de la chambre du bébé plusieurs mois avant sa naissance, en aérant le plus possible.

    Concernant les articles de la vie courante

    • Favoriser les jouets conformes à la réglementation actuelle et les acheter dans des magasins ou sur des sites de confiance. Vérifier la certification CE.
    • Privilégier les vêtements en matière naturelle (coton, laine, lin, etc).
    • Laver les vêtements neufs et les articles de la vie courantes qui sont lavables avant usage.

    En résumé :

    Prévention - Comment se protéger des perturbateurs endocriniens ? Infographie du Centre Léon Bérard.

    Prévention – Comment se protéger des perturbateurs endocriniens ? Infographie du Centre Léon Bérard.

  • Evolutions récentes

    Ces dernières années ont été marquées par une reconnaissance croissante de la problématique des perturbateurs endocriniens (PE) dans les politiques de santé publique, tant en France qu’au niveau européen.

    Le cas du bisphénol A

    Depuis 2015, le BPA est interdit dans les contenants alimentaires en France mais reste discuté au niveau européen.

    Déjà reconnu pour ses effets sur la fertilité (reprotoxique 1B), l’Anses a déposé le 8 août 2016 un dossier d’identification SVHC (substance of very high concern) selon les critères du règlement REACH. L’identification du BPA en tant que SVHC pour cette propriété a été validée par consensus et le BPA a été ajouté à la liste des substances SVHC (Liste candidate) par décision de l’ECHA du 4 janvier 2017 (ED/01/2017) (Anses, 2017).

    Depuis l’identification du BPA comme SVHC et son interdiction d’être utilisé dans les contenants alimentaires en France, des substituts (BPS, BPB) sont utilisés comme alternatives. Cependant, l’Anses indique que le BPB possède les mêmes propriétés endocriniennes que le BPA, voir même légèrement plus prononcées. L’Anses propose alors en 2021 d’identifier, selon les critères de REACH le BPB comme SVHC également. (Anses, 2021)

    Les produits phytosanitaires

    Fin 2016, l’arrêt de l’utilisation des produits phytosanitaires conventionnels dans les collectivités fait partie des actions en Santé Environnement engagées par la France. Cette interdiction sera étendue en 2025 à certains espaces encore exemptés (tennis sur gazon, hippodromes, terrain de golf…).

    Etudes récentes

    Une étude menée par Santé Publique France en 2021, l’étude PEPS’PE (Priorisation des Effets sanitaires à Surveiller dans le cadre du Programme de Surveillance liés aux Perturbateurs Endocriniens) a pour objectif de hiérarchiser et prioriser les indicateurs sanitaires dans un contexte d’exposition aux PE afin d’intégrer ces données dans son programme de surveillance sur les PE (Santé Publique France, 2021).Nos expositions aux PE dans notre quotidien sont nombreuses et les risques liés à certaines sont avérés. C’est pourquoi, l’Inserm lance une étude interventionnelle en 2023 et 2024 pour savoir si la modification de nos habitudes de consommation peut réduire nos expositions. Un groupe témoin (A) et un groupe dont les produits du quotidien seront remplacés par des produits sans PE (B) seront comparés à l’issu de cette étude pour observer ou non une diminution de l’exposition chez le groupe B par rapport au groupe A (Inserm, 2023).

    Informations des consommateurs

    Depuis le 12 avril 2024, les fabricants et distributeurs auront dans l’obligation de mettre à disposition des consommateurs les informations permettant d’identifier la présence de PE avérés, présumés ou suspectés dans les produits de consommation. (Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, 2023).

Auteur : Département Prévention Cancer Environnement, Centre Léon Bérard

Relecture : Francesca Mancini, épidémiologiste, Inserm U1018, Institut Gustave Roussy ; Delphine Praud, épidémiologiste, Inserm U1296, Centre Léon Bérard

Mise à jour le 05 août. 2025

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