Vol. 112 : Cancérogénicité du tétrachlorvinphos, du parathion, du malathion, du diazinon et du glyphosate

Présentation

En mars 2015, 17 experts de 11 pays se sont réunis au Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC ; Lyon, France) pour évaluer la cancérogénicité des pesticides organophosphorés tétrachlorvinphos, parathion, malathion, diazinon et glyphosate (voir tableau). Ces évaluations seront publiées dans le volume 112 des Monographies du CIRC1.

Les insecticides tétrachlorvinphos et parathion ont été classés comme « peut-être cancérogènes pour l’homme » (Groupe 2B). Les données issues des études chez l’homme étaient limitées et jugées insuffisantes. Le tétrachlorvinphos induit des tumeurs hépatocellulaires (bénignes ou malignes) chez la souris, des tumeurs (bénignes ou  malignes) des tubules rénaux chez la souris mâle2, et des hémangiomes spléniques chez les rats mâles. Le tétrachlorvinphos est un oxone réactif avec affinité pour les estérases. Chez l’animal de laboratoire, le tétrachlorvinphos est systématiquement distribué, métabolisé et éliminé dans l’urine. Bien que les tests de mutagenèse bactérienne aient été négatifs, le tétrachlorvinphos induisait une génotoxicité dans certains essais (lésions chromosomiques chez les rats et in vitro) et augmentait la prolifération cellulaire (hyperplasie chez les rongeurs). Le tétrachlorvinphos est interdit dans l’Union européenne. Aux Etats-Unis, il continue d’être utilisé chez l’animal, y compris dans les colliers anti-puces des animaux de compagnie.

Pour le parathion, des associations avec des cancers dans plusieurs tissus ont été observées dans des études menées en milieu professionnel, mais les données scientifiques chez l’homme demeurent rares. Chez la souris, le parathion augmentait l’adénome bronchiolo-alvéolaire et/ou le carcinome chez les mâles, et le lymphome chez les femelles. Chez le rat, le parathion induisait des adénomes du cortex surrénal ou des carcinomes (en combinaison)3, des tumeurs malignes du pancréas et des adénomes folliculaires de la thyroïde chez les mâles, et des adénocarcinomes de la glande mammaire (après injection sous-cutanée) chez les femelles4. Le parathion est rapidement absorbé et distribué. Le métabolisme du parathion en métabolite bioactif, le paraoxon, est similaire à travers les espèces. Bien que les tests de mutagenèse bactérienne aient été négatifs, le parathion induisait des lésions chromosomiques et à l’ADN dans les cellules humaines in vitro. Le parathion augmentait nettement la densité du bourgeon terminal de la glande mammaire chez le rat4. L’utilisation du parathion a été fortement limitée depuis les années 1980.

Les insecticides malathion et diazinon ont été classés comme « probablement cancérogènes pour l’homme » (Groupe 2A). Le malathion est utilisé en agriculture, en santé publique, et pour le contrôle résidentiel des insectes. Il continue d’être produit en grande quantité à travers le monde. On dispose d’indications limitées de cancérogénicité du malathion chez l’homme. Des analyses cas-témoins d’expositions professionnelles rapportent des associations positives avec le lymphome non hodgkinien aux Etats-Unis5, au Canada6 et en Suède7, bien qu’aucune augmentation de risque de lymphome non hodgkinien n’ait été observée dans la grande cohorte Agricultural Health Study (AHS). L’utilisation professionnelle était associée à une augmentation du risque de cancer de la prostate dans une étude cas-témoins canadienne8 et dans l’étude AHS, qui rapporte une tendance significative pour des cancers agressifs après ajustement pour d’autres pesticides9. Chez la souris, le malathion augmentait les adénomes ou carcinomes hépatocellulaires (en combinaison)10. Chez le rat, il augmentait le carcinome thyroïdien chez les mâles, l’adénome hépatocellulaire ou le carcinome (en combinaison) chez les femelles, ainsi que l’adénocarcinome de la glande mammaire après injection sous-cutanée chez les femelles4. Le malathion est rapidement absorbé et distribué. Le métabolisme du malathion en métabolite bioactif, le malaoxon, est similaire à travers les espèces. Le malaoxon inhibe fortement les estérases ; l’atropine réduisait les effets liés à la cancérogenèse dans une étude4. Le malathion induisait des lésions chromosomiques et à l’ADN chez l’homme, observation corroborée par des études chez l’animal et in vitro. Les tests de mutagenèse bactérienne étaient négatifs. Des données convaincantes militent en faveur d’une perturbation des voies hormonales. Des effets hormonaux entraînent probablement la prolifération des glandes thyroïdienne et mammaires chez le rongeur.

 Tableau : Classification du CIRC de certains pesticides organophosphorés

Activité (statut actuel) Indications chez l’Homme (localisations cancéreuses) Indications chez l’animal de laboratoire Données mécanistiques Classifications*
Tétrachlorvinphos Insecticide (limité dans l’UE et pour la plupart des utilisations aux Etats-Unis) Insuffisantes Suffisantes 2B
Parathion Insecticide (limité aux Etats-Unis et dans l’UE) Insuffisantes Suffisantes 2B
Malathion Insecticide (actuellement utilisé; substance chimique produite en grande quantité) Limitées (lymphome non hodgkinien, prostate) Suffisantes Génotoxicité, stress oxydatif, inflammation, effets médiés par les récepteurs, et prolifération ou mort cellulaire 2A
Diazinon Insecticide (limité aux Etats-Unis et dans l’UE) Limitées (lymphomes non hodgkinien, leucémie, poumon) Limitées Génotoxicité et stress oxydatif 2A
Glyphosate Herbicide (actuellement utilisé; herbicide le plus utilisé au monde en volume) Limitées (lymphome non hodgkinien) Suffisantes Génotoxicité et stress oxydatif 2A
UE = Union européenne

*  Voir le Préambule des Monographies du Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) pour l’explication du système de classification (modifié en Janvier 2006).

†La classification en 2A du diazinon était basée sur des indications limitées de cancérogénicité chez l’homme et l’animal de laboratoire, et des indications solides au niveau mécanistique; pour le malathion et le glyphosate, les données mécanistiques étayent indépendamment le classement en 2A sur la base d’indications de leur cancérogénicité pour l’homme et l’animal de laboratoire.

Le diazinon a été appliqué en agriculture et pour le contrôle des insectes dans les habitations et les jardins. Il existe des données limitées de cancérogénicité du diazinon chez l’homme. Des associations positives pour les lymphomes non hodgkiniens, avec des indications de tendances dose-effet, ont été rapportées par deux grandes études cas-témoins multicentriques d’expositions professionnelles5,6. La cohorte AHS a rapporté des associations positives avec des sous-types spécifiques, qui persistaient après ajustement pour d’autres pesticides, mais pas d’augmentation globale du risque de lymphome non hodgkinien11. Les arguments en faveur d’un risque accru de leucémie dans l’étude AHS ont été renforcés par une augmentation monotone du risque associée à une exposition cumulative au diazinon, après ajustement pour d’autres pesticides. Plusieurs mises à jour de l’étude AHS ont montré de façon constante une augmentation du risque de cancer du poumon liée à un rapport dose-effet qui ne pouvait pas s’expliquer par des facteurs de confusion tels que d’autres pesticides, le tabagisme ou d’autres facteurs de risque de cancer du poumon12. Toutefois, ce résultat n’a pas été répliqué dans d’autres populations. Chez les rongeurs, le diazinon augmentait le carcinome hépatocellulaire chez la souris et la leucémie ou le lymphome (en combinaison) chez le rat, mais seulement chez les mâles recevant la faible dose dans chaque étude. Le diazinon induisait des lésions chromosomiques et à l’ADN chez les rongeurs et dans des cellules humaines et mammaliennes in vitro. Des données supplémentaires en faveur d’une pertinence chez l’homme ont été fournies par une étude positive sur un petit nombre de volontaires exposés à une formulation de diazinon13.

Le glyphosate est un herbicide à large spectre, qui est actuellement l’herbicide le plus produit en termes de volumes. Il est utilisé dans plus de 750 produits différents en agriculture, sylviculture, en milieu urbain et à usage domestique. Son utilisation a nettement augmenté avec le développement de variétés de cultures génétiquement modifiées résistantes au glyphosate. Le glyphosate a été détecté dans l’air pendant l’épandage, dans l’eau et dans l’alimentation. On dispose d’indications limitées de la cancérogénicité du glyphosate chez l’homme. Des études cas-témoins concernant des expositions professionnelles aux Etats-Unis14, au Canada6 et en Suède7 ont rapporté une augmentation des risques de lymphome non hodgkinien qui persistait après ajustement pour d’autres pesticides. La cohorte AHS ne montrait pas d’augmentation significative du risque de lymphome non hodgkinien. Chez les souris CD-1 mâles, le glyphosate induisait une tendance positive dans l’incidence d’une tumeur rare, le carcinome des tubules rénaux. Une seconde étude a rapporté une tendance positive d’hémangiosarcome chez la souris mâle15. Le glyphosate augmentait l’adénome des cellules des îlots pancréatiques chez les rats mâles dans deux études. Une formulation de glyphosate était promotrice de tumeurs de la peau dans une étude d’initiation-promotion chez la souris.

Le glyphosate a été détecté dans le sang et l’urine des travailleurs agricoles, indiquant son absorption. Les microbes du sol dégradent le glyphosate en acide aminométhylphosphorique (AMPA). La détection d’AMPA dans le sang après empoisonnement suggère un métabolisme microbien intestinal chez l’homme. Le glyphosate et les formulations à base de glyphosate induisent des lésions chromosomiques et à l’ADN chez les mammifères, et dans les cellules humaines et animales in vitro. Une étude rapportait une augmentation des marqueurs sanguins de lésion chromosomique (micronoyaux) chez les résidents de plusieurs communautés après épandage de formulations à base de glyphosate16. Les tests de mutagenèse bactérienne étaient négatifs. Le glyphosate, les formulations de glyphosate, et l’AMPA induisaient un stress oxydatif chez les rongeurs et in vitro. Le Groupe de Travail a classé le glyphosate comme « probablement cancérogène pour l’homme » (Groupe 2A).

Nous déclarons ne pas avoir de conflits d’intérêts.

Kathryn Z Guyton, Dana Loomis, Yann Grosse, Fatiha El Ghissassi, Lamia Benbrahim-Tallaa, Neela Guha, Chiara Scoccianti, Heidi Mattock, Kurt Straif, au nom du Groupe de Travail des Monographies du Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), Lyon (France)

Article disponible en anglais

Guyton KZ, Loomis D, Grosse Y, El Ghissassi F, Benbrahim-Tallaa L, Guha N, et al. Carcinogenicity of tetrachlorvinphos, parathion, malathion, diazinon, and glyphosate. The Lancet Oncology. 2015 May;16(5):490–1: http://dx.doi.org/10.1016/S1470-2045(15)70134-8

Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC : http://monographs.iarc.fr

Prochaines réunions​

2–9 juin 2015, Volume 113 : Certains insecticides organochlorés et herbicides chlorophénoxylés.

6–13 octobre 2015, Volume 114 : Viande rouge et viande transformée.

Membres du Groupe de Travail de la Monographie

A Blair (USA)—Président du Groupe de Travail ; L Fritschi (Australie) ; J McLaughlin ; C M Sergi (Canada); G M Calaf (Chili) ; F Le Curieux (Finlande) ; I Baldi (France) ; F Forastiere (Italie) ; T Rodriguez [excusé] (Nicaragua) ; A ‘t Mannetje (Nouvelle Zélande) ; H Kromhout (Pays-Bas) ; P Egeghy [excusé], G D Jahnke ; C W Jameson ; M T Martin ; M K Ross ; I Rusyn ; L Zeise (USA)

Spécialistes invités

C Portier (Suisse)

Représentants

M E Gouze, pour l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (France) ; J Rowland, pour l’Agence américaine de protection de l’environnement (US-EPA, USA)

Observateurs

M K Boye Jensen, pour Cheminova (Danemark) ; B Fervers, pour le Centre Léon Bérard (France) ; E Giroux, pour l’Université Jean-Moulin Lyon 3 (France) ; T Sorahan, pour la Compagnie Monsanto (USA) ; C Strupp, pour l’Association de protection des cultures européennes (Belgique) ; P Sutton, pour l’Université de Californie, San Francisco (USA)

Secrétariat CIRC/OMS

L Benbrahim-Tallaa ; R Carel ; F El Ghissassi ; Sonia El-Zaemey ; Y Grosse ; N Guha ; K Z Guyton ; C Le Cornet ; M Leon ; D Loomis ; H Mattock ; C Scoccianti ; A Shapiro ; K Straif ; J Zavadil

Pour lire le Préambule des Monographies du CIRC : http://monographs.iarc.fr/ENG/Preamble/index.php

Pour lire les déclarations d’intérêt : http://monographs.iarc.fr/ENG/Meetings/vol112-participants.pdf

    Références

    1. International Agency for Research on Cancer Volume 112: Some organophosphate insecticides and herbicides: tetrachlorvinphos, parathion, malathion, diazinon and glyphosate. IARC Working Group. Lyon; 3 10 March 2015. IARC Monogr Eval Carcinog Risk Chem Hum (sous presse).

    2. Parker CM, Van Gelder GA, Chai EY, et al. Oncogenic evaluation of tetrachlorvinphos in the B6C3F1 mouse. Fundam Appl Toxicol 1985; 5: 840–54.

    3. National Toxicology Program. Bioassay of parathion for possible carcinogenicity. Natl Cancer Inst Carcinog Tech Rep Ser 1979; 70: 1–123.

    4. Cabello G, Valenzuela M, Vilaxa A, et al.A rat mammary tumor model induced by the organophosphorous pesticides parathion and malathion, possibly through acetylcholinesterase inhibition. Environ Health Perspect 2001; 109: 471–79.

    5. Waddell BL, Zahm SH, Baris D, et al. Agricultural use of organophosphate pesticides and the risk of non-Hodgkin’s lymphoma among male farmers (United States). Cancer Causes Control 2001; 12: 509–17.

    6. McDuffi e HH, Pahwa P, McLaughlin JR, et al. Non-Hodgkin’s lymphoma and specifi c pesticide exposures in men: cross-Canada study of pesticides and health. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2001; 10: 1155–63.

    7. Eriksson M, Hardell L, Carlberg M, Akerman M. Pesticide exposure as risk factor for non-Hodgkin lymphoma including histopathological subgroup analysis. Int J Cancer 2008; 123: 1657–63.

    8. Band PR, Abanto Z, Bert J, et al.Prostate cancer risk and exposure to pesticides in British Columbia farmers. Prostate 2011; 71: 168–83. Koutros S, Beane, Freeman LE, et al. Risk of total and aggressive prostate cancer and pesticide use in the Agricultural Health Study. Am J Epidemiol 2013; 177: 59–74.

    9. Koutros S, Beane, Freeman LE, et al.Risk of total and aggressive prostate cancer and pesticide use in the Agricultural Health Study. Am J Epidemiol 2013; 177: 59–74.

    10. US Environmental Protection Agency. Peer review of malathion: 18-month carcinogenicity study in mice. http://www.epa.gov/opp00001/chem_search/cleared_reviews/csr_PC-057701_undated_004.pdf (accessed March 6, 2015).

    11. Alavanja MC, Hofmann JN, Lynch CF, et al.Non-Hodgkin lymphoma risk and insecticide, fungicide and fumigant use in the agricultural health study. PLoS ONE 2014; 9: e109332.

    12. Jones RR, Barone-Adesi F, Koutros S, et al. Incidence of solid tumors among pesticide applicators exposed to the organophosphate insecticide diazinon in the Agricultural Health Study: an updated analysis. Occup Environ Med 2015 (in press).

    13. .Hatjian BA, Mutch E, Williams FM, Blain PG, Edwards JW. Cytogenetic response without changes in peripheral cholinesterase enzymes following exposure to a sheep dip containing diazinon in vivo and in vitro. Mutat Res 2000; 472: 85–92.

    14. De Roos AJ, Zahm SH, Cantor KP, et al.Integrative assessment of multiple pesticides as risk factors for non-Hodgkin’s lymphoma among men. Occup Environ Med 2003; 60: E11.

    15. .WHO/FAO. Glyphosate. Pesticides residues in food 2004 Joint FAO/WHO Meeting on Pesticides Residues. Part II Toxicological. IPCS/WHO 2004; 95–162. http://www.who.int/foodsafety/areas_work/chemical-risks/jmpr/en/(accessed March 6, 2015).

    16. Bolognesi C, Carrasquilla G, Volpi S, Solomon KR, Marshall EJ. Biomonitoring of genotoxic risk in agricultural workers from five Colombian regions: association to occupational exposure to glyphosate. J Toxicol Environ Health A 2009; 72: 986–97.

Auteur : Département Prévention Cancer Environnement, Centre Léon Bérard

Relecture : Section des Monographies du CIRC ; Groupe Communication du CIRC.

Mise à jour le 08 juil. 2022

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