Vol. 120 : Cancérogénicité du benzène

Présentation

En octobre 2017, un Groupe de Travail composé de 27 chercheurs venus de 13 pays différents s’est réuni au Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) à Lyon (France) pour finaliser l’évaluation de la cancérogénicité du benzène. Cette évaluation sera publiée dans le volume 120 des Monographies du CIRC1.

Le benzène, un hydrocarbure aromatique, est un polluant atmosphérique omniprésent, provenant principalement de l’activité humaine, et notamment de la combustion. Il s’agit d’un composant de l’essence, des gaz d’échappement des véhicules, des émissions industrielles et de la fumée du tabac, et il a été utilisé dans le passé comme solvant dans l’industrie et dans différents produits de consommation. Les utilisations du benzène comme solvant sont aujourd’hui limitées dans de nombreux pays, mais il est encore produit en grandes quantités pour être principalement utilisé comme intermédiaire chimique. Diverses industries donnent lieu à des expositions professionnelles au benzène, dont l’industrie pétrolière, la production et la fabrication de produits chimiques et, dans certains pays, ces expositions apparaissent encore dans des industries où des niveaux élevés étaient observés par le passé, comme la fabrication de chaussures, la peinture, l’imprimerie et la fabrication de caoutchouc. La population dans son ensemble peut être exposée au benzène dans l’air et l’eau pollués et par l’utilisation de produits contenant du benzène. Les concentrations de benzène sur le lieu de travail et dans l’air extérieur ont diminué au fil du temps ; le Groupe de Travail a noté des concentrations inférieures à 3,00 mg/m3 en milieu professionnel et à 0,005 mg/m3 dans l’air extérieur dans les pays à revenu élevé, mais des concentrations plus élevées sont encore signalées dans certains pays à revenu faible et moyen.

Le benzène est classé comme cancérogène pour l’homme (Groupe 1 du CIRC) depuis 1979, sur la base d’indications suffisantes selon lesquelles il provoque des leucémies2. Cette évaluation a été confirmée spécifiquement pour la leucémie myéloïde aiguë (LMA) et la leucémie aiguë non lymphoïde en 20093; des associations positives avec la leucémie lymphoïde aiguë, la leucémie lymphoïde chronique, le myélome multiple et le lymphome non hodgkinien ont également été reconnues à ce moment-là. La présente évaluation a été entreprise dans le but d’examiner de nouvelles données épidémiologiques et mécanistiques mais aussi pour explorer la possibilité de caractériser les relations quantitatives pour le risque de cancer et les paramètres biologiques liés aux mécanismes du développement cancéreux.

Le Groupe de Travail actuel a confirmé la cancérogénicité du benzène en se fondant sur des indications suffisantes chez l’homme, des indications suffisantes chez l’animal de laboratoire et des indications solides au niveau mécanistique. Le Groupe de Travail a concentré sa revue des études épidémiologiques sur celles dans lesquelles l’exposition professionnelle ou environnementale au benzène était spécifiquement identifiée. Plusieurs études de cohortes professionnelles de grande envergure46 ont apporté de nouvelles données probantes importantes. Chez les hommes adultes, le benzène provoque des leucémies aiguës non lymphoïdes, y compris la LMA. Les observations antérieures – données limitées sur les leucémies lymphoïdes chroniques, les myélomes multiples et les lymphomes non hodgkiniens – ont également été confirmées. De nouvelles données ont aussi été tirées de plusieurs études récentes qui montraient des associations positives entre l’exposition environnementale au benzène7,8 et la LMA chez les enfants. Des associations positives avec l’exposition au benzène ont également été observées pour des leucémies myéloïdes chroniques et pour des cancers du poumon dans plusieurs études. Plusieurs petites minorités du Groupe de Travail estimaient que les indications de cancérogénicité étaient insuffisantes pour le cancer du poumon mais suffisantes pour le lymphome non hodgkinien.

Chez les souris mâles et femelles, plusieurs études portant sur l’inhalation du corps entier (par exemple, l’étude de Farris et collègues9) signalaient l’induction de tumeurs des tissus hématopoïétiques et lymphoïdes, de carcinomes de la glande de Zymbal, de carcinomes épidermoïdes de la glande préputiale, de carcinomes des cellules squameuses du pré-estomac et d’adénomes pulmonaires. Quatre études portaient sur l’administration orale par gavage (comme les études menées par le National Toxicology Program10 et Maltoni et collègues11) et deux études sur l’administration par injection intrapéritonéale chez des souris mâles et femelles. Les études d’administration orale ont rapporté l’induction de tumeurs des tissus hématopoïétiques et lymphoïdes, d’adénomes et de carcinomes pulmonaires alvéolaires ou bronchiolaires, d’adénomes et de carcinomes hépatocellulaires, de carcinomes à cellules squameuses de la glande de Zymbal, d’adénomes et de carcinomes de la glande de Harderian, de carcinomes de la glande préputiale, de tumeurs ovariennes, de tumeurs malignes des glandes mammaires chez les femelles uniquement, de tumeurs à cellules squameuses du pré-estomac et de phéochromocytomes de la glande surrénale. Dans une étude par injection intrapéritonéale, la progéniture des mères qui avaient reçu l’injection a développé des tumeurs du foie et des tumeurs des tissus hématopoïétiques et lymphoïdes12.

Quatre études portant sur l’administration orale (par gavage) chez des rats mâles et femelles10,11 et une étude sur des rates gravides et leur progéniture mâle et femelle11 après inhalation du corps entier ont été publiées. Le benzène était à l’origine de tumeurs des tissus hématopoïétiques et lymphoïdes, de carcinomes de la glande de Zymbal, de carcinomes épidermoïdes de la cavité buccale, de carcinomes in situ du pré-estomac dans les études de gavage et chez la progéniture après inhalation. Des carcinomes hépatocellulaires étaient provoqués chez les descendants dans l’étude par inhalation, et des carcinomes cutanés et des polypes du stroma endométrial étaient induits dans les études par gavage.

Dans plusieurs études utilisant trois différents modèles de souris génétiquement modifiés de différentes origines génétiques, le benzène provoquait des tumeurs des tissus hématopoïétiques et lymphoïdes par administration orale, par inhalation du corps entier ou par application cutanée ; le benzène a également provoqué des sarcomes sous-cutanés dans une étude par administration orale et des papillomes cutanés dans deux études par application cutanée.

Le benzène est facilement absorbé, largement distribué et en grande partie métabolisé, ce qui donne lieu à une complexité d’électrophiles réactifs par de multiples voies métaboliques dans divers tissus, y compris dans la moelle osseuse. Il présente bon nombre des principales caractéristiques des agents cancérogènes13. En particulier, de solides indications, y compris chez les humains exposés, montrent que le benzène est métaboliquement activé, qu’il induit un stress oxydatif, qu’il est génotoxique, immunosuppresseur et provoque une hématotoxicité. De plus, de fortes indications provenant d’études expérimentales ont montré que le benzène cause une instabilité génomique, en inhibant la topo-isomérase II ; il module les effets médiés par les récepteurs pertinents aux récepteurs des hydrocarbures aryliques, et induit l’apoptose.

Chez les humains exposés au benzène, des adduits époxyde-protéine et benzoquinone-protéine se forment dans le sang. De plus, le benzène induit un stress oxydatif chez les humains exposés, les cellules humaines et la moelle osseuse de souris. Dans les études sur les humains exposés professionnellement, le benzène induit des lésions oxydatives à l’ADN, des ruptures de brins d’ADN, des mutations génétiques, des aberrations chromosomiques et des micronoyaux. Les changements cytogénétiques spécifiques induits chez l’homme exposé comprennent l’aneuploïdie, les translocations et divers autres changements structurels des chromosomes. Dans la moelle osseuse des animaux de laboratoire exposés in vivo, le benzène provoque des adduits d’ADN, des aberrations chromosomiques et des micronoyaux. De même, dans les cellules humaines in vitro, le benzène ou ses métabolites induisent des adduits d’ADN, des lésions à l’ADN et des aberrations chromosomiques.

De nombreuses études chez l’homme exposé démontraient l’hématotoxicité du benzène, allant de la diminution du nombre de globules blancs à des expositions plus faibles jusqu’à l’anémie aplasique et à la pancytopénie à des expositions plus élevées. L’hématotoxicité induite par le benzène est associée au risque futur de développer une malignité hématologique ou des troubles connexes. Bien qu’aucune étude humaine sur l’exposition au benzène n’ait examiné directement les changements de la fonction immunitaire, de nombreuses études expérimentales chez l’animal ont démontré une hématotoxicité et des effets immunosuppresseurs conséquents sur les analyses fonctionnelles des cellules humorales et à médiation cellulaire.

Le Groupe de Travail a étudié la forme et la pente de la fonction dose-effet pour la LMA dans le cadre d’analyses méta-régressives de six études de cohortes professionnelles publiées avec des données appropriées. La relation entre l’exposition au benzène et le logarithme du risque relatif a été bien décrite par un modèle linéaire. La pente était modérément sensible à l’inclusion dans le modèle d’une étude de cohorte des travailleurs du chlorhydrate de caoutchouc, dont les estimations d’exposition étaient les plus élevées. Dans la majorité des études sur l’homme qui apportaient des données sur la relation dose-effet pour le benzène et des paramètres pertinents aux principales caractéristiques des cancérogènes (c’est-à-dire micronoyaux14, aberrations chromosomiques15, et numération leucocytaire16), un gradient dose-effet a été signalé.

Nous déclarons ne pas avoir de conflits d’intérêts.

Dana Loomis, Kathryn Z Guyton, Yann Grosse, Fatiha El Ghissassi, Véronique Bouvard,

Lamia Benbrahim-Tallaa, Neela Guha, Nadia Vilahur, Heidi Mattock, Kurt Straif, pour le Groupe de Travail des Monographies du Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), Lyon (France).

Lancet Oncol 2017

Article en anglais publié en ligne depuis le 26 octobre 2017

https://doi.org/10.1016/S1470-2045(17)30832-X

Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir : http://monographs.iarc.fr/

Prochaines réunions

20–27 mars 2018, Volume 121 : Styrène, styrène-7,8-oxyde et quinolone

5–12 juin 2018, Volume 122 : Nitrite d’isobutyle, β-picoline, et quelques acrylates

Membres du Groupe de Travail de la Monographie

R Vermeulen (Pays-Bas) – Président de la réunion ; I Linhart (République tchèque) ; O Raaschou-Nielsen (Danemark) ; P Guénel (France) ; A Seidler (Allemagne) ; R Andreoli, F Belpoggi, S Fustinoni (Italie) ;

Y Hirabayashi, H Tsuda (Japon) ; D-H Koh (République de Corée) ; J Kirkeleit (Norvège) ; N B Hopf (Suisse); P Vineis (Grande-Bretagne) ; W A Chiu, J E French, J Huff (absent), J Jinot, D M Reif, D B Richardson, D Ross, N Rothman, K Salazar, S Silver, E Symanski, R Thomas, L Zhang (Etats-Unis)

Déclaration d’intérêts

Les membres du Groupe de Travail déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Spécialistes invités

D C Glass (Australie)

Déclaration d’intérêts

Financement de l’industrie pétrolière et d’organismes de lutte contre l’incendie.

Représentants

R Flores-Munguia, pour le National Cancer Institute, Etats-Unis ;

A L Larentis, pour la Fondation Oswaldo Cruz, Brésil ;

M K Lim, pour le National Cancer Center, République de Corée ;

EY Park, pour le National Cancer Center, République de Corée ;

M Sarpa de Campos Mello, pour l’Institut National du Cancer, Brésil.

Déclaration d’intérêts

Tous les Représentants déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Observateurs

Richard H Adamson, pour l’American Beverage Association, Etats-Unis ;

P J Boogaard, pour l’Aromatics Producers Association, Belgique ;

A Forrest, pour la Manitoba Professional Firefighters Association, Canada ;

T K Grimsrud, pour le Registre du Cancer de Norvège, Norvège ;

S Hays, pour l’American Petroleum Institute, Etats-Unis ;

P F Infante, Peter F Infante Consulting, LLC, Etats-Unis ;

V-P Parkkinen, C Wallmann, pour l’University of Kent, Royaume-Uni.

Déclaration d’intérêts

RHA déclare les dépenses de l’American Beverage Association.

PJB fait rapport sur l’emploi chez Shell International.

BV est membre du Conseil néerlandais de la santé, siège au Comité d’experts néerlandais sur la sécurité au travail et au Sous-comité pour classification des substances cancérogènes et est aussi membre du comité scientifique sur les niveaux d’exposition professionnelle de la Commission européenne.

SH a été payé par l’American Petroleum Institute.

PFI déclare un témoignage dans des affaires de responsabilité liée au produit.

Tous les autres observateurs du Groupe de Travail déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Secrétariat du CIRC

L Benbrahim-Tallaa ; V Bouvard ; R Carel ; F El Ghissassi ; Y Grosse ; N Guha ; K Z Guyton ; A Hall ; R Khlifi ; D Loomis ; H Mattock ; K Straif ; N Vilahur

Déclaration d’intérêts

L’ensemble des membres du Secrétariat déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Pour le Préambule aux Monographies, lire :

http://monographs.iarc.fr/ENG/Preamble/index.php

Pour les conflits d’intérêts, lire :

http://monographs.iarc.fr/ENG/Meetings/vol120-participants.pdf

Traduit de l’anglais par le Département Cancer Environnement

    Références

    1 IARC. Benzene. IARC Monogr Eval Carcinog Risks Hum, vol 120 (sous presse).

    2 IARC. Chemicals and industrial processes associated with cancer in humans: an updating of IARC monographs volumes 1 to 20. IARC Monogr Eval Carcinog Risks Hum 1979; suppl 1: 15.

    3 IARC. A review of human carcinogens Part F: chemical agents and related occupations. IARC Monogr Eval Carcinog Risks Hum 2012; 100F: 249–94.

    4 Stenehjem JS, Kjærheim K, Bråtveit M, et al. Benzene exposure and risk of lymphohaematopoietic cancers in 25 000 offshore oil industry workers. Br J Cancer 2015; 112: 1603–12.

    5 Linet MS, Yin SN, Gilbert ES, et al. A retrospective cohort study of cause-specific mortality and incidence of hematopoietic malignancies in Chinese benzene-exposed workers. Int J Cancer 2015; 137: 2184–97.

    6 Schnatter AR, Glass DC, Tang G, Irons RD, Rushton L. Myelodysplastic syndrome and benzene exposure among petroleum workers: an international pooled analysis. J Natl Cancer Inst 2012; 104: 1724–37.

    7 Houot J, Marquant F, Goujon S, et al. Residential proximity to heavy-traffic roads, benzene exposure, and childhood leukemia- the GEOCAP study, 2002–2007. Am J Epidemiol 2015; 182: 685–93.

    8 Janitz AE, Campbell JE, Magzamen S, Pate A, Stoner JA, Peck JD. Benzene and childhood acute leukemia in Oklahoma. Environ Res 2017; 158: 167–73.

    9 Farris GM, Everitt JI, Irons RD, Popp JA. Carcinogenicity of inhaled benzene in CBA mice. Fundam Appl Toxicol 1993; 20: 503–07.

    10 National Toxicology Program. NTP toxicology and carcinogenesis studies of benzene (CAS no. 71–43–2) in F344/N rats and B6C3F1 mice (Gavage studies). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 1986;289: 1–277.

    11 Maltoni C, Ciliberti A, Cotti G, Conti B, Belpoggi F. Benzene, an experimental multipotential carcinogen: results of the long-term bioassays performed at the Bologna Institute of Oncology. Environ Health Perspect 1989; 82: 109–24.

    12 Badham HJ, LeBrun DP, Rutter A, Winn LM. Transplacental benzene exposure increases tumor incidence in mouse offspring: possible role of fetal benzene metabolism. Carcinogenesis 2010; 31: 1142–48.

    13 Smith MT, Guyton KZ, Gibbons CF, et al. Key characteristics of carcinogens as a basis for organizing data on mechanisms of carcinogenesis. Environ Health Perspect 2016; 124: 713–21.

    14 Zhang GH, Ji BQ, Li Y, et al. Benchmark doses based on abnormality of WBC or micronucleus frequency in benzene-exposed Chinese workers. J Occup Environ Med 2016;58: e39–e44.

    15 Zhang L, Lan Q, Ji Z, et al. Leukemia-related chromosomal loss detected in hematopoietic progenitor cells of benzene-exposed workers. Leukemia 2012; 26: 2494–98.

    16 Lan Q, Zhang L, Li G, et al. Hematotoxicity in workers exposed to low levels of benzene. Science 2004; 306: 1774–76.

Auteur : Département Prévention Cancer Environnement, Centre Léon Bérard

Relecture : Section des Monographies du CIRC, Groupe Communication du CIRC

Mise à jour le 08 juil. 2022

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