Présentation
En novembre 2019, un Groupe de Travail de 13 chercheurs venus de huit pays s’est réuni au Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) à Lyon (France), pour finaliser leur évaluation de la cancérogénicité de cinq produits chimiques à haut volume de production : le méthacrylate de glycidyle, le 1-butyl glycidyl éther, le 1-bromo-3-chloropropane, le 4-chlorobenzotrifluorure et le chlorure d’allyle. Ces évaluations seront publiées dans le volume 125 des Monographies du CIRC1.
Pour tous ces composés, les données provenant d’études sur le cancer chez l’Homme étaient « insuffisantes ». La seule étude sur le cancer, portant sur les travailleurs du chlorure d’allyle, était de petite envergure et a été considérée comme non informative. Aucune étude n’était disponible concernant l’absorption, la distribution, le métabolisme, l’excrétion ou les mécanismes de cancérogénicité chez l’Homme.
Le méthacrylate de glycidyle est principalement utilisé dans la production de polymères époxy et de résines vinyliques et acryliques. Ces polymères sont utilisés dans les composites, les adhésifs et les résines de scellement dentaire, les matériaux composites pour les os, les revêtements en poudre, les lentilles de contact en hydrogel et les matériaux de contact alimentaire. L’exposition au méthacrylate de glycidyle en tant que monomère n’est pas attendue lors de l’utilisation de produits polymérisés. Une étude a rapporté des expositions professionnelles chez les travailleurs de la production chimique2. Une exposition à court terme pourrait potentiellement survenir pendant la préparation des matériaux composites dentaires ou osseux, mais aucune donnée n’était disponible sur ce type d’exposition. Le Groupe de Travail disposait d’ « indications suffisantes » chez l’animal de laboratoire pour la cancérogénicité du méthacrylate de glycidyle, avec une incidence accrue de néoplasmes malins chez les deux sexes de deux espèces exposées par inhalation. Le méthacrylate de glycidyle a induit des hémangiosarcomes de la cavité nasale chez les souris mâles et femelles, des carcinomes bronchiolo-alvéolaires et sarcomes histiocytaires utérins chez les souris femelles, des carcinomes épidermoïdes de la cavité nasale chez les rats mâles et femelles, de rares carcinomes neuroépithéliaux de la cavité nasale et des mésothéliomes péritonéaux chez les rats mâles et des sarcomes du stroma endométrial utérin chez les rats femelles3,4. Aucune donnée directe sur l’absorption ou l’excrétion n’était disponible pour les mammifères, mais des indications indirectes d’une absorption cutanée et orale efficaces étaient fournies par des essais de toxicité aiguë chez diverses espèces de rongeurs. Chez le lapin, un inhibiteur de la carboxylestérase réduisait considérablement le déclin du méthacrylate de glycidyle dans le sang. Des études utilisant des homogénats de tissus humains, de lapin et de rat ont montré la formation progressive d’un métabolite raisonnablement identifié comme étant le glycidol. Le Groupe de Travail disposait d’indications « solides » montrant que le méthacrylate de glycidyle est génotoxique dans les cellules primaires humaines5, indications étayées par des résultats cohérents de plusieurs essais dans diverses espèces. Ces effets génotoxiques comprenaient des cassures de brins d’ADN, des mutations génétiques et des lésions chromosomiques.
Le méthacrylate de glycidyle modifie la prolifération cellulaire, la mort cellulaire ou l’apport en nutriments, induisant des augmentations dose-dépendantes d’hyperplasie avec atypie et de métaplasie avec atypie dans les cavités nasales des deux sexes chez les souris et les rats exposés de façon chronique par inhalation3,4. Le Groupe de Travail a également déterminé que, sur la base de considérations mécanistiques, le méthacrylate de glycidyle appartient à une classe de composés (époxydes de glycidyle réactifs), dont un membre a été classé comme « probablement cancérogène pour l’Homme ». Cette détermination est fondée sur la similarité structurelle avec d’autres époxydes de glycidyle et sur l’étroite concordance avec le glycidol en ce qui concerne le profil de génotoxicité et le profil tumoral dans les essais à long terme chez l’animal. Le méthacrylate de glycidyle a été classé comme « probablement cancérogène pour l’Homme » (Groupe 2A) sur la base d’« indications suffisantes » chez l’animal de laboratoire et d’indications mécanistiques « solides ».
Deux composés, le 1-butyl glycidyl éther et le 1-bromo-3-chloropropane, ont été classés comme « peut-être cancérogènes pour l’Homme » (Groupe 2B) sur la base d’ « indications suffisantes » de leur cancérogénicité chez l’animal de laboratoire et d’indications mécanistiques « solides » que ces composés démontrent certaines des principales caractéristiques des cancérogènes dans les systèmes expérimentaux.
Le 1-butyl glycidyl éther est un intermédiaire réactif et un solvant réducteur de viscosité utilisé dans la fabrication des résines époxydes. Il est également utilisé comme modificateur de surface dans la teinture du coton et de la laine. L’exposition professionnelle est possible sur les lieux de travail où le 1-butyl glycidyl éther est produit ou utilisé, mais on ne s’attend pas à ce que l’utilisation de produits polymérisés expose la population générale. Le 1-butyl glycidyl éther a provoqué des tumeurs malignes chez les deux sexes de deux espèces exposées par inhalation ; les études chez l’animal ont montré une augmentation de l’incidence de carcinomes épidermoïdes des fosses nasales chez les souris et rats mâles et femelles, de leucémies à cellules mononucléaires de la rate chez les rats mâles et femelles et de sarcomes histiocytaires utérins chez les souris femelles6,7. Chez la souris, le rat et le lapin, le 1-butyl glycidyl éther est presque complètement absorbé par voie orale et rapidement éliminé. Les deux voies métaboliques impliquent l’hydratation vers les intermédiaires diols et la conjugaison avec le glutathion. Le Groupe de Travail disposait d’ « indications solides » de ce que le 1-butyl glycidyl éther altère la prolifération cellulaire, la mort cellulaire ou l’apport en nutriments avec l’augmentation de diverses lésions prolifératives non néoplasiques (y compris hyperplasie avec atypie et métaplasie) dans le système respiratoire des rats et souris exposés de façon chronique par inhalation6,7.
Le 1-bromo-3-chloropropane est un intermédiaire dans la production d’une large gamme de médicaments, de certains pesticides et d’autres produits chimiques. L’exposition professionnelle est possible sur les lieux de travail où le 1-bromo-3-chloropropane est produit ou utilisé, alors que l’exposition de la population générale est peu probable. Le 1-bromo-3-chloropropane a augmenté l’incidence de néoplasmes malins chez les deux sexes chez deux espèces exposées par inhalation; les études ont rapporté une augmentation de carcinomes bronchiolo-alvéolaires chez les souris mâles et femelles, de carcinomes hépatocellulaires chez les rats mâles et femelles et d’hémangiosarcomes du foie et de leucémies des cellules mononucléaires spléniques chez les rats femelles8,9. Le 1-bromo-3-chloropropane modifie la prolifération cellulaire, la mort cellulaire ou l’apport en nutriments, ce que supporte l’augmentation proportionnelle à la dose de l’incidence ou de la gravité, ou des deux, de diverses lésions prolifératives non néoplasiques, y compris hyperplasie et métaplasie, au point de contact et dans les tissus distaux après 2 ans d’exposition par inhalation chez les rats et les souris des deux sexes8,9. Bien qu’un point de vue minoritaire ait considéré ces indications comme « limitées », les lésions prolifératives non néoplasiques ayant été observées en même temps que les tumeurs bénignes et malignes, le Groupe de Travail a convenu que les indications mécanistiques étaient « fortes » dans les systèmes expérimentaux.
Le 4-chlorobenzotrifluorure est largement utilisé comme solvant et diluant pour les encres, les peintures, les toners, les revêtements et les applications dispersives dans l’industrie automobile. C’est également un composant majeur dans les formulations industrielles et de consommation telles que les nettoyants, les dégraissants, les détachants et les produits d’étanchéité. Une étude a fait état d’expositions professionnelles dans des installations de fabrication de peinture et de véhicules10. La population générale pourrait être exposée par les produits de consommation et par l’eau et le poisson contaminés. Toutefois, aucune étude mesurant l’exposition de la population générale n’était disponible. Le 4-chlorobenzotrifluorure a induit des néoplasmes malins chez les deux sexes de deux espèces exposées par inhalation, augmentant l’incidence de carcinomes hépatocellulaires et d’hépatoblastomes chez les souris mâles; de carcinomes hépatocellulaires, d’hépatoblastomes et de tumeurs des glandes de Harder chez les souris femelles ; de cancers broncho-alvéolaires chez les rats mâles ; et d’adénocarcinomes utérins et de tumeurs des cellules C thyroïdiennes chez les rates11. Les indications mécanistiques étaient insuffisantes. Le 4-chlorobenzotrifluorure a été classé comme « peut-être cancérogène pour l’Homme » (Groupe 2B) sur la base d’« indications suffisantes » de sa cancérogénicité chez l’animal de laboratoire.
Le chlorure d’allyle est presque exclusivement utilisé dans la production d’épichlorhydrine, un composant de base des résines époxydes et dans la synthèse du glycérol. Le chlorure d’allyle est également un intermédiaire dans la synthèse de divers produits, notamment les pesticides, les produits pharmaceutiques, les adhésifs et les produits de soins personnels. Un large éventail de niveaux d’exposition professionnelle a été signalé dans l’air des installations où le chlorure d’allyle est produit ou utilisé. Les indications mécanistiques étaient « limitées ». Chez les rats mâles exposés par inhalation, le chlorure d’allyle a augmenté l’incidence de carcinomes à cellules transitionnelles de la vessie, de mésothéliomes péritonéaux, de carcinomes à cellules C de la thyroïde, de tumeurs folliculaires de la thyroïde et de tumeurs bronchiolo-alvéolaires12. Une petite minorité du Groupe de Travail avait estimé que ces indications étaient « suffisantes », sur la base de la multiplicité des tumeurs dans les tissus cibles, et avait proposé une classification en Groupe 2B (« peut-être cancérogène pour l’Homme »). Dans l’ensemble, les données de cancérogénicité chez l’animal de laboratoire ont été considérées par la majorité comme « limitées » et le Groupe de Travail a confirmé l’évaluation précédente du chlorure d’allyle comme « inclassable quant à sa cancérogénicité pour l’Homme » (Groupe 3).
Nous déclarons n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Monographies du CIRC, Groupe de Travail du Vol. 125
Centre international de Recherche sur le Cancer, Lyon (France).
Lancet Oncol 2019
Article en anglais publié en ligne le 28 novembre 2019
https://doi.org/10.1016/S1470-2045(19)30779-X
Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir http://monographs.iarc.fr/
Prochaines réunions
24–31 mars 2020, volume 126 : Opium
26 mai au 2 juin 2020, volume 127 : Certaines amines aromatiques et composés apparentés
3–10 novembre, 2020, volume 128 : Acroléine, arécoline et certains composés apparentés
Membres du groupe de Travail de la Monographie
I Rusyn (Etats-Unis)—Président de la réunion; F Belpoggi (Italie); L Camacho (Etats-Unis); H U Käfferlein (Allemagne)—Présidents de sous-groupes; R Cattley (Etats-Unis); C F Estill (Etats-Unis); J Kanno (Japon); F Le Curieux (Finlande); G K Roberts (Etats-Unis); J Mráz (République Tchèque); T Umemura (Japon); J Vlaanderen (Pays-Bas); W Stubbings (Royaume-Uni)
Déclaration d’intérêts
Les membres du Groupe de Travail déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Spécialistes invités
Aucun
Représentants
P Guillou-Lebrevelec, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), France
Déclaration d’intérêts
Tous les représentants ne déclarent aucun conflit d’intérêt.
Observateurs
Aucun
Secrétariat du CIRC
L Benbrahim-Tallaa; V Bouvard (Responsible Officer); F Chung; F El Ghissassi; J Girschik; Y Grosse; K Z Guyton; M Li; E G Rowan; MK Schubauer-Berigan
Déclaration d’intérêts
Tous les membres du Secrétariat déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Pour le Préambule aux Monographies, lire :
https://monographs.iarc.fr/wp-content/uploads/2019/01/Preamble-2019.pdf
Pour les conflits d’intérêts, lire :
https://monographs.iarc.fr/wp-content/uploads/2019/06/125-Participants-ShortList.pdf
Clause de non-responsabilité
Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement les décisions, les politiques ou les opinions de leurs institutions respectives.