Vol. 111 : Cancérogénicité de la fluoro-édénite, des fibres et des trichites de carbure de silicium et nanotubes de carbone

Présentation

En octobre 2014, 21 experts originaires de dix pays se sont réunis au Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC ; Lyon, France) pour évaluer la cancérogénicité de la fluoro-édénite, des fibres et trichites de carbure de silicium (CSi) et des nanotubes de carbone (NTCs), y compris les nanotubes de type simple cylindre (SCNTCs) et multi-cylindres (MCNTCs). Ces évaluations seront publiées dans le volume 111 des Monographies du CIRC1.

La fluoro-édénite a d’abord été identifiée autour du volcan Etna près de Biancavilla en Italie ; un minerai similaire a également été signalé dans la région du volcan Kimpo au Japon. La fluoro-édénite peut se présenter sous forme de fibres asbestiformes. Les routes non pavées construites à partir de produits extraits des carrières locales de Biancavilla et utilisés depuis 1950, sont une source d’exposition aux fibres de fluoro-édénite en suspension dans l’air ; l’air intérieur était également contaminé par l’utilisation des produits de carrières dans les matériaux de construction. Plusieurs études de surveillance ont rapporté une augmentation de l’incidence et de la mortalité par mésothéliome dans la population de la région de Biancavilla2. Etant donné que le ratio du taux de mésothéliome restait élevé et stable, il était peu probable que ces observations soient dues au hasard. L’excès observé était similaire chez les hommes et les femmes, avec une atteinte plus importante des jeunes adultes, suggérant une cause environnementale plutôt que professionnelle. De plus, la plupart des sujets n’avait aucun antécédent d’exposition professionnelle à l’amiante. Les fibres amphiboles de fluoro-édénite ont été classées cancérogènes pour l’homme (Groupe 1), sur la base d’indications suffisantes de cancérogénicité chez l’homme que l’exposition à la fluoro-édénite cause le mésothéliome. Des indications suffisantes de cancérogénicité ont été également rapportées chez l’animal de laboratoire avec une augmentation de l’incidence de mésothéliomes observée dans une étude chez des rats mâles et femelles à qui on avait injecté des fibres de fluoro-édénite par voie intra-péritonéale ou intra-pleurale3. Les résultats des quelques études mécanistiques disponibles étaient cohérents avec les mécanismes de cancérogénicité des fibres proposés4.

Le carbure de silicium (CSi) se présente sous différentes formes : particules, fibres et trichites. Les particules de CSi sont fabriquées (pour la plupart pour un usage d’abrasif industriel) principalement selon le procédé Acheson, les fibres de CSi étant des sous-produits indésirables. Les fibres de CSi sont généralement poly-cristallines ; de longueur et de diamètre variables, et peuvent inclure des fibres impossibles à distinguer des trichites. Les trichites de CSi sont produites intentionnellement selon différents procédés en tant que substituts industriels durables à l’amiante ; elles sont physiquement homogènes et mono-cristallines, et leurs dimensions sont similaires aux  amiantes amphiboles. La cancérogénicité des fibres de CSi a été étudiée dans deux cohortes de travailleurs du procédé Acheson, exposés aux CSi fibreux et non fibreux, au quartz, et à la cristobalite. Dans une étude de cohorte canadienne5, un excès de mortalité par cancer du poumon a été observé. Un excès de cancer du poumon et une relation dose-réponse avec l’exposition aux fibres de CSi ont été décrits dans le rapport le plus détaillé issu d’une série d’études sur l’incidence du cancer dans une cohorte norvégienne6. Les analyses étaient limitées aux travailleurs ayant travaillé au moins trois ans dans l’usine et basées sur une matrice emploi-exposition détaillée prenant en compte les expositions multiples. La relation dose-réponse de l’exposition était quelque peu affaiblie après ajustement sur l’exposition à la cristobalite. Les expositions professionnelles associées au procédé Acheson ont été classées cancérogènes pour l’homme (Groupe 1) sur la base d’indications suffisantes qu’elles causent le cancer du poumon. Etant donné que la corrélation entre les expositions aux fibres de CSi et à la cristobalite rendait difficile la distinction entre leurs effets respectifs, le Groupe de Travail a conclu que les fibres de CSi étaient peut-être cancérogènes pour l’homme (Groupe 2B) sur la base d’indications limitées chez l’homme que les fibres de CSi causent le cancer du poumon. Aucune donnée chez l’homme exposé aux trichites de CSi n’était disponible. Chez l’animal de laboratoire, il y avait des indications suffisantes pour la cancérogénicité des trichites de CSi, avec des mésothéliomes observés dans trois études chez des rats femelles traités par implantation intrapleurale7, injection intrapleurale ou intrapéritonéale, et dans une étude par inhalation chez des rats qui n’incluait pas de témoins concomitants. Bien que non-unanime, le Groupe de Travail a classé les trichites de CSi comme probablement cancérogène pour l’homme (Groupe 2A) plutôt que peut-être cancérogène pour l’homme (Groupe 2B), sur la base des propriétés physiques des trichites qui sont proches de celles des fibres d’amiante et d’érionite, fibres connues pour être cancérogènes. De plus, les résultats d’études mécanistiques disponibles étaient en adéquation avec les mécanismes de cancérogénicité des fibres proposés4. La majorité du Groupe de Travail a considéré que les différences de nature des fibres de CSi et des trichites de CSi rendaient nécessaires des évaluations distinctes.

Les nanotubes de carbone peuvent être constitués d’un seul cylindre de graphène (SCNTCs) avec un diamètre extérieur de 1 à 3 nanomètres, ou de multiples cylindres de graphène organisés en couches concentriques (MCNTCs) avec des diamètres de 10 à 200 nanomètres. Les nanotubes de carbones (NTCs) ont typiquement une longueur de quelques micromètres variant de quelques centaines de nanomètres à plusieurs dizaines de micromètres ; leurs caractéristiques physiques et chimiques varient selon leur technique de production. Les applications incluent l’amélioration des propriétés structurelles des tissus, plastiques, gommes, équipements électroniques et matériaux composites. Le relargage le plus important des NTCs, souvent sous forme d’agglomérats qui peuvent être respirables, est observé pendant la production, la manipulation et le nettoyage des réacteurs de production. Les évaluations de l’exposition professionnelle sont limitées, et l’exposition des consommateurs n’est pas quantifiée. Aucune donnée de cancer chez l’homme n’était disponible pour le Groupe de Travail, soulignant des indications insuffisantes de la cancérogénicité des NTCs pour l’homme. Certains NTCs ont été testés chez les rongeurs. Le MCNTC de type MWCNT-7 induisait des mésothéliomes péritonéaux chez des rats mâles et femelles dans une étude par injection intrapéritonéale8, et une étude par injection intrascrotale9, et chez des souris mâles p53+/- dans deux études par injection intrapéritonéale10. L’inhalation de MWCNT-7 agissait comme promoteur d’adénomes et carcinomes bronchiolo-alvéolaires chez la souris mâle11. Dans une étude par injection intrapéritonéale, deux autres types de MCNTCs avec des dimensions physiques similaires à celles des MWCNT-7 (longueur de 1 à 19 micromètres ; diamètre de 40 à 170 nanomètres) ont causé des mésothéliomes chez des rats mâles et femelles8. Deux études avec des SCNTCs chez des rats étaient non concluantes. Concernant la cancérogénicité chez l’animal de laboratoire, le Groupe de Travail a conclu qu’il existait des indications suffisantes pour MWCNT-7, des indications limitées pour les deux autres types de MCNTCs ayant des dimensions identiques à celles de MWCNT-7, et des indications insuffisantes pour les SCNTCs. Des données mécanistiques et d’autres données chez les rongeurs ont fourni des indications d’un transfert de trois types de MCNTCs (y compris MWCNT-7) au niveau de la plèvre12.

De plus, l’inhalation de certains MCNTCs ou SCNTCs induit des inflammations pulmonaires aigues ou persistentes, la formation de granulomes, des fibroses, et des hyperplasies bronchiolaires ou bronchiolo-alvéolaires chez les rongeurs13,14. Les études chez les rongeurs (par exemple, Shvedova et al.15) et sur des cellules pulmonaires ou mésothéliales humaines en culture, montrent que les MCNTCs, les SCNTCs ou les deux, induisent des lésions génétiques telles que des cassures de brins d’ADN, des bases oxydées de l’ADN, des mutations, la formation de micronoyaux et des aberrations chromosomiques. Les SCNTCs et MCNTCs perturbent également le système de division cellulaire, dont les microtubules et les centrosomes, dans des cellules épithéliales pulmonaires humaines16,17. Dans l’ensemble, le Groupe de Travail a admis que les mécanismes ci-dessus sont tous applicables chez l’homme. Néanmoins, une majorité n’a pas considéré les indications mécanistiques – en particulier concernant les effets chroniques – suffisamment fortes pour un NTC en particulier. En outre, le manque de données cohérentes entre les différentes formes de NTCs a empêché la généralisation à d’autres types de NTCs. En conséquence, MWCNT-7 a été classé comme peut-être cancérogène pour l’homme (Groupe 2B) et les SCNTCs et MCNTCs hors MWCNT-7 ont été considérés comme inclassable quant à leur cancérogénicité pour l’homme (Groupe 3).

Nous déclarons ne pas avoir de conflits d’intérêts.

 Yann Grosse, Dana Loomis, Kathryn Z Guyton, Béatrice Lauby-Secretan, Fatiha El Ghissassi, Véronique Bouvard, Lamia Benbrahim-Tallaa, Neela Guha, Chiara Scoccianti, Heidi Mattock, Kurt Straif, au nom du groupe de travail des monographies du Centre international de Recherche sur le Cancer, Lyon, France.

 Article disponible en anglais

Grosse Y, Loomis D, Guyton KZ, Lauby-Secretan B, El Ghissassi F, Bouvard V, et al. Carcinogenicity of fluoro-edenite, silicon carbide fibres and whiskers, and carbon nanotubes. The Lancet Oncology. 2014 Dec;15(13):1427–8: http://dx.doi.org/10.1016/S1470-2045(14)71109-X

Pour plus d’information sur les Monographies du CIRC : http://monographs.iarc.fr/

 Prochaines réunions

3–10 Mars  2015, Volume 112 : Certains insecticides et herbicides organophosphorés : diazinon, glyphosate, malathion, parathion, et tétrachlorvinphos.

2–9 Juin 2015, Volume 113 : Certains pesticides organochlorés et herbicides chlorophénoxylés.

Membres du Groupe de Travail des Monographies du CIRC

A B Kane (USA)—Président du Groupe de Travail ; M Debia; C Dion (Canada); P Møller (Danemark); K Savolainen (Finlande); I Gusava Canu; M C Jaurand (France) ; P Comba; B Fubini (Italie); N Kobayashi; Y Morimoto; H Tsuda (Japon); I J Yu (Corée du Sud); R Vermeulen (Pays-Bas); M D Bugge (Norvège); T F Bateson; E D Kuempel; D L Morgan; K E Pinkerton; L M Sargent; L Stayner (USA).

Spécialistes invités

Aucun

Représentants

A Ben Amara, Agence Nationale de Contrôle Sanitaire et Environnementale des Produits, Tunisie ; M E Gouze; N Thieriet, pour l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), France

Observateurs

N Falette, pour le Centre Léon Bérard, France; S Føreland, pour Silicon Carbide Manufacturers Association (SiCMa), Luxembourg; J Muller-Bondue, pour Nanocyl SA, Belgique

Secrétariat du CIRC/OMS

L Benbrahim-Tallaa ; N Guha; V Bouvard ; R Carel ; F El Ghissassi ; Y Grosse; K Z Guyton; B Lauby-Secretan ; D Loomis ; H Mattock ; C Scoccianti ; K Straif.

Pour lire le Préambule des Monographies du CIRC : http://monographs.iarc.fr/ENG/Preamble/index.php

Pour lire les déclarations d’intérêt : http://monographs.iarc.fr/ENG/Meetings/vol112-participants.pdf

    Références

     1. International Agency for Research on Cancer. Volume 111: Fluoro-edenite, silicon carbide fibres and whiskers, and single-walled and multi-walled carbon nanotubes IARC Working Group. Lyon; 30 Sep–7 Oct 2014. IARC Monogr Eval Carcinog Risk Chem Hum (in press).

     2. Bruno C, Tumino R, Fazzo L, et al. Incidence of pleural mesothelioma in a community exposed to fibres with fluoro-edenitic composition in Biancavilla (Sicily, Italy). Ann Ist Super Sanita 2014; 50: 111–18.

     3. Belpoggi F, Tibaldi E, Lauriola M, et al. The efficacy of long-term bioassays in predicting human risks: mesotheliomas induced by fluoro-edenitic fibres present in lava stone from Etna Volcano in Biancavilla Italy. Eur J Oncol 2014; 16: 185–95.

     4. International Agency for Research on Cancer. Volume 100C: Arsenic, metals, fibres, and dusts. IARC Working Group. Lyon; 17–24 March 2009. IARC Monogr Eval Carcinog Risk Chem Hum 2012; 100C: 219–316.

     5. Infante-Rivard C, Dufresne A, Armstrong B, Bouchard P, Thériault G. Cohort study of silicon carbide production workers. Am J Epidemiol 2014; 140: 1009–15.

     6. Bugge MD, Kjærheim K, Føreland S, Eduard W, Kjuus H. Lung cancer incidence among Norwegian silicon carbide industry workers: associations with particulate exposure factors. Occup Environ Med 2012; 69: 527–33.

    7. Johnson NF, Hahn FF. Induction of mesothelioma after intrapleural inoculation of F344 rats with silicon carbide whiskers or continuous ceramic filaments. Occup Environ Med 1996; 53: 813–16.

    8. Nagai H, Okazaki Y, Chew SH, Misawa N, Yamashita Y, Akatsuka S, et al. Diameter and rigidity of multiwalled carbon nanotubes are critical factors in mesothelial injury and carcinogenesis. Proc Natl Acad Sci USA 2011; 108: E1330–38.

     9. Sakamoto Y, Nakae D, Fukumori N, et al. Induction of mesothelioma by a single intrascrotal administration of multi-wall carbon nanotube in intact male Fischer 344 rats. J Toxicol Sci 2009; 34: 65–76.

     10. Takagi A, Hirose A, Futakuchi M, Tsuda H, Kanno J. Dose-dependent mesothelioma induction by intraperitoneal administration of multi-wall carbon nanotubes in p53 heterozygous mice. Cancer Sci 2012; 103: 1440–44.

     11. Sargent LM, Porter DW, Staska LM, et al. Promotion of lung adenocarcinoma following inhalation exposure to multi-walled carbon nanotubes. Part Fibre Toxicol 2014; 11: 3.

     12. Mercer RR, Scabilloni JF, Hubbs AF, et al. Distribution and fi brotic response following inhalation exposure to multi-walled carbon nanotubes. Part Fibre Toxicol 2013; 10: 33

     13. Shvedova AA, Kisin E, Murray AR, et al. Inhalation vs. aspiration of single-walled carbon nanotubes in C57BL/6 mice: inflammation, fibrosis, oxidative stress, and mutagenesis. Am J Physiol Lung Cell Mol Physiol 2008; 295: L552–65.

     14. Pauluhn J. Subchronic 13-week inhalation exposure of rats to multiwalled carbon nanotubes: toxic effects are determined by density of agglomerate structures, not fibrillary structures. Toxicol Sci 2010; 113: 226–42.

     15. Shvedova AA, Yanamala N, Kisin ER, et al. Long-term effects of carbon containing engineered nanomaterials and asbestos in the lung: one year postexposure comparisons. Am J Physiol Lung Cell Mol Physiol 2014; 306: L170–82.

    16. Sargent LM, Hubbs AF, Young SH, et al. Single-walled carbon nanotube-induced mitotic disruption. Mutat Res 2012; 745: 28–37.

    17. Siegrist KJ, Reynolds SH, Kashon ML, et al. Genotoxicity of multi-walled carbon nanotubes at occupationally relevant doses. Part Fibre Toxicol 2014; 11: 1–15.

Auteur : Département Prévention Cancer Environnement, Centre Léon Bérard

Relecture : Section des Monographies du CIRC ; Groupe Communication du CIRC.

Mise à jour le 08 juil. 2022

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