Jeûne et cancer

Le saviez-vous ?

Divers types de jeûne existent : le jeûne total, le jeûne complet, le jeûne intermittent, la restriction calorique et la restriction glucidique ou régime cétogène.

Pendant le jeûne, les apports énergétiques étant réduits, la balance énergétique devient négative ; l'organisme va alors puiser l'énergie indispensable dans les réserves mobilisables de protéines puis dans les lipides.

Dans le cas d’un cancer, le jeûne est considéré comme un stress pour la cellule. Le faible niveau de preuve scientifique ne permet pas de révéler de potentiels effets préventifs ou thérapeutiques du jeûne sur le cancer.

L’Institut National du Cancer (INCa) et le réseau Nutrition Activité physique Cancer Recherche (NACRe) ne recommandent pas cette pratique puisqu’il n’y a pas assez de preuves (en particulier des études sur l’homme) qui montrent un effet bénéfique. Le jeûne n’est pas inclus dans les recommandations du WCRF (World Cancer Research Fund International).

De nombreuses questions sur des bénéfices potentiels du jeûne en cas de cancer restent encore à élucider.

Présentation

La pratique du jeûne ou de régimes restrictifs fait l’objet d’un intérêt croissant auprès du grand public, que ce soit les personnes bien-portantes et malades. La médiatisation du jeûne à propos de ses potentiels effets sur le bien-être, sur la réduction du risque de maladies comme certains cancers ou même sur l’efficacité et la tolérance des traitements associés doit s’accompagner d’une information scientifique et médicale la plus claire possible.

  • Définition d’une alimentation normale et saine

    Il existe 3 grandes familles de nutriments :

    • les glucides (ou « sucres ») qui recouvrent une grande variété de sucres simples (glucose, fructose par exemple) ou complexes (polysaccharides),
    • les protéines,
    • les lipides ou « graisses ».

    Parmi les constituants de ces nutriments, certains constituants existent tels que : acides aminés pour les protéines, acides gras pour les lipides qui ne peuvent pas être fabriqués par l’organisme et doivent être fournis par l’alimentation (nutriments essentiels). L’alimentation apporte aussi des molécules dites indispensables à la vie (exemple les vitamines)(Rapport de l’Anses relatifs à l’actualisation des repères du PNNS 2017.

    L’apport énergétique est couvert par les trois nutriments (15% pour les protéines, 50-55% pour les glucides et 30-35% pour les lipides). Le glucose principal source d’énergie pour les cellules en particulier pour le cerveau peut être produit à partir de tous ces nutriments : les stocks de glucose l’organisme sont très faibles et l’organisme stocke l’énergie disponible soit sous forme de lipides, soit sous forme de protéines.

    Parmi ces nutriments, 25-30 gr de fibres alimentaires (polysaccharides) sont aussi nécessaires au bon fonctionnement du tube digestif (et sont un facteur associé à une réduction du risque de cancer).

  • Divers types de jeûne

    Le jeune thérapeutique est défini comme l’ensemble des procédures qui visent à limiter la consommation d’aliments caloriques (ingesta ou matières alimentaires introduites dans l’organisme) glucidiques ou protéiques pendant une période déterminée à des fins thérapeutiques isolées ou synergiques avec un traitement conventionnel.

    • Jeûne total = sec = absolu
    • Jeûne complet / hydrique : abstention alimentaire total à l’exception de l’eau (infusion, citron)
    • Jeûne intermittent : alimentation normale entrecoupée de courtes périodes d’absence totale d’ingesta caloriques et protéiques avec ou sans hydratation orale (durée de 24 à 72 heures)
    • Restriction calorique : réduction d’au moins 20% des ingesta caloriques totaux par rapport aux ingesta habituels ou aux apports recommandés (variante jeûne/régime protéiné) (durée de quelques jours à quelques semaines)
    • Restriction glucidique ou régime cétogène : une réduction des ingesta glucidiques sans augmentation proportionnelle des ingesta protéiques. L’apport calorique total est normal mais avec environ 75% de l’apport énergétique sous forme de lipides (durée de 7 à 10 jours)
  • Répercussion de la pratique du jeûne sur la balance énergétique

    La balance énergétique d’un individu correspond à la différence entre ses dépenses et ses apports énergétiques.

    Si les dépenses et les apports sont équivalents, la balance énergétique est dite équilibrée.

    Si les apports sont supérieurs aux dépenses, la balance énergétique est positive ce qui peut entrainer une prise de poids sous deux formes possibles : une accumulation de masse graisseuse, ou une augmentation de masse musculaire  en cas d’activité physique plus intense chez le sujet jeune ou chez l’enfant en croissance.

    Pendant le jeûne, les apports énergétiques étant réduits, la balance énergétique devient négative ; l’organisme va puiser sur l’énergie indispensable dans les réserves mobilisables de protéines puis plus tardivement de lipides. Les dépenses énergétiques et les réserves de l’organisme sont donc deux composantes essentielles pour faire perdurer le jeûne.

  • Effet physiologique d’un déficit en énergie sur l’organisme - Quelles sont les pertes ?

    La première phase de jeûne se caractérise par une diminution des réserves en glycogène (seule forme de stockage très limitée de glucide) dans le foie et les muscles. Ces réserves de glycogène sont limitées à environ 70g dans le foie et 150-300g dans les muscles. Au bout de 24h, la glycémie (taux de glucose dans le sang) diminue ainsi que l’insulinémie (hormone qui régule le taux de sucre dans le sang). L’utilisation du glucose diminue dans les muscles au profit des tissus  comme le cerveau et les globules rouges dits gluco-dépendant car ces organes ne peuvent utiliser pour principale source d’énergie que le glucose. Ensuite, les réserves en graisses dans les tissus adipeux sont mobilisées par lipolyse (dégradation des triglycérides en acides gras), puis la cétogenèse dans le foie en période de jeûne transforme ces acides gras en corps cétoniques qui sont utilisés comme substituts au glucose. La production de ces corps cétoniques peut entraîner une acidose (diminution du pH dans le sang).

    La voie de la néoglucogenèse produit du glucose hépatique à partir des protéines (certains acides aminés) pendant les 3-4 jours suivants. Cela peut se traduire par une fonte musculaire. Au bout d’une semaine, la mobilisation des protéines et des réserves en graisses continue. Ensuite, au lieu d’utiliser le glucose, le cerveau consomme les corps cétoniques en augmentant la cétose (Longo, 2010).

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    Source : Collège des enseignants de nutrition http://campus.cerimes.fr/nutrition/

    Réserves énergétiques chez un sujet de 70 kg

  • Effet du jeûne thérapeutique en cancérologie

    Dans le cas d’un métabolisme tumoral complexe comme dans le cancer, les cellules tumorales ne consomment pas les mêmes nutriments, en fonction de leur position au sein de la tumeur ou selon leur degré de développement.

    Le jeûne est considéré comme un stress pour la cellule. Il va entrainer des modifications au niveau moléculaire. On observe ainsi une baisse de la glycémie, du taux d’insulin like growth factor-1 (IGF-1), de l’hormone de croissance (GH) et du taux d’insuline et une augmentation de la sensibilité à l’insuline, des corticostéroïdes et des insuline-like growth factor binding proteins (IGF-BP) qui vont être captés par les récepteurs cellulaires et moduler des voies de signalisation. On observe alors une inhibition des voies de signalisation dépendantes des nutriments et une activation des voies de résistance au stress, dans un but de survie de la cellule (Longo, 2010).

    De plus, la voie IGF-1/Akt/mTOR est la plus affectée par la carence d’apport calorique et par la diminution de la disponibilité en glucose. La restriction calorique active également la protéine kinase activée par l’AMP (« 5′-AMP-activated protein kinase » ou AMPK) qui joue un rôle important dans la mort cellulaire tumorale.

  • Développements récents en oncologie

    Le jeûne protège sélectivement les cellules normales contre les oxydants et certains agents chimio-thérapeutiques et sensibilise les cellules cancéreuses. L’effet protecteur du jeûne observé contre les effets secondaires induits par la chimiothérapie n’est pas encore entièrement élucidé. Cependant, la réduction des hormones favorisant un état anabolique (ensemble des réactions chimiques de synthèse moléculaire de l’organisme) et mitogène (substance ayant la propriété de déclencher une activation de la division du noyau cellulaire), ainsi que les facteurs de croissance comme l’insuline et l’IGF-1 avec une augmentation concomitante de protéines protégeant contre le stress, participent au processus.

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    Source : Buono, 2018

    Evolutions récentes des essais cliniques sur « jeûne et cancer »

    En 2018, dans la revue BMC Cancer, l’équipe de Caccialanza a mis en avant les risques de jeûner pour des patients atteints de cancer : la malnutrition et la sarcopénie (fonte musculaire). Les auteurs soulignent également la désinformation autour d’aliments « anti-cancer » ou de compléments alimentaires pour « soigner le cancer ». Ils rappellent que des effets protecteurs n’ont été observés que dans des études animales et sur culture de cellules en laboratoire et ne sont pas transposables à l’homme en absence d’études humaines.

    Dans le monde, 10 essais cliniques chez l’homme ont été mis en place dont cinq sont en cours, trois sont terminés ou arrêtés et deux ne donnent pas d’information. Concernant les trois essais cliniques terminés, deux ont été arrêtés prématurément sans fournir d’analyse des résultats. Seul un essai clinique à Berlin a donné lieu à une publication scientifique. Le but de cette étude pilote était de voir si le jeûne peut améliorer la qualité de vie et le bien-être de patientes atteintes de cancer du sein ou de l’ovaire pendant la chimiothérapie. Dans cette étude randomisée de type plan croisé (Bauersfeld, 2018), 34 patientes ont été inclues : un groupe de jeûne (régime de 350 kcal/j à base d’eau, de thé et de jus de légumes) et un groupe avec un régime calorique normal (régime méditerranéen) comme témoin. La période de jeûne commençait 36h avant la chimiothérapie et se terminait 24h après la chimiothérapie. Après quatre à six cycles de chimiothérapies, le niveau de bien-être était évalué par des questionnaires standardisés permettant d’obtenir un score. Dans le groupe ayant effectué le jeûne puis le régime normal, le jeûne a eu un effet bénéfique sur la qualité de vie et la fatigue durant la chimiothérapie (différence significative des scores de qualité de vie entre la période de jeûne et la période normale). Par contre, cet effet n’a pas été retrouvé dans le groupe ayant suivi le régime normal puis le jeûne. Cependant, cette étude pilote avait de nombreuses limites telles que la faible taille de l’échantillon et les biais liés au plan croisé. D’autre part il n’est pas possible de savoir si la chimiothérapie a été aussi efficace dans les deux groupes.

    Une autre publication de Martin-McGill et al. sur les régimes cétogènes passe systématiquement en revue les données probantes sur l’efficacité et l’acceptabilité des différents régimes cétogènes chez des patients atteints de gliomes (Martin-McGill, 2018). Les données ne suggèrent pas d’effet thérapeutique dans la prise en charge des gliomes ; il est nécessaire de poursuivre des recherches de qualité (essais comparatifs randomisés) ainsi qu’une évaluation économique de la santé pour établir l’efficience, l’efficacité clinique et la valeur de l’intervention.

    Pour conclure, le niveau de preuve scientifique extrêmement faible ne permet pas révéler de potentiels effets préventifs ou thérapeutiques du jeûne sur le cancer. Ces preuves reposent principalement sur des études de modèles cellulaires ou animales qui ne sont pas directement extrapolables à l’homme.

    Le jeûne n’est d’ailleurs pas inclus dans les recommandations du WCRF (World Cancer Research Fund International) ou de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé).

    L’Institut National du Cancer (INCa) et le Réseau Nutrition Activité Physique Cancer Recherche (NACRe) ne recommandent pas non plus cette pratique puisqu’il n’y a pas assez de preuves (en particulier des études sur l’homme) qui montrent un effet bénéfique.

    Le rôle des professionnels de santé (médecin nutritionniste, diététicienne…) est essentiel pour répondre aux attentes des patients et permettre un dialogue, en les informant de l’état actuel des connaissances et en les sensibilisant aux risques (dénutrition…).

    Une évaluation et un suivi nutritionnel régulier sont indispensables pour les patients atteints de cancer qui souhaitent s’engager dans ces démarches.

    Par ailleurs, l’INCa met en garde contre cette pratique sans professionnel de santé : “Chez les patients atteints de cancer, la perte de poids et de masse musculaire observée dans les études cliniques suggère un risque d’aggravation de la dénutrition et de la sarcopénie, deux facteurs pronostiques péjoratifs reconnus au cours des traitements ».

    The European Society for Clinical Nutrition and Metabolism ne recommande pas non plus la restriction calorique pour les patients avec ou à risque de malnutrition (Arends, 2017). De nombreuses questions restent à élucider en cas de cancer :

    • Pendant combien de temps un jeûne doit-il être appliqué pour espérer un bénéfice ? A quelle fréquence ?
    • Est-ce que ces pratiques sont sans danger pour tout le monde, pour les individus à risque ?
    • Est-ce qu’il y a un risque d’influencer négativement les membres dans une famille ? Par exemple, le fait que les enfants voient leurs parents jeûner et sauter des repas. Quels sont les effets sur le développement des enfants?
    • Quel est le niveau calorique optimal ?
    • Quels sont les effets du jeûne intermittent sur le long terme ?

Auteur : Département Prévention Cancer Environnement, Centre Léon Bérard

Sources rédactionnelles : Anses ; INCa ; WCRF ; OMS

Mise à jour le 19 juil. 2022

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